FORUM

"La lecture à voix haute ouvre un horizon nouveau quant au rapport au livre et à la lecture, et il peut y avoir un effet indirect très positif. La sociabilité n'est certes pas aussi forte et intense que ce que les témoignages pourraient laisser croire, car, comme toujours lorsque l'on parle de sociabilité autour de la lecture, il y a comme un émerveillement de la part de personnes rompues à la lecture silencieuse et qui découvrent qu'elle peut faire l'objet d'un partage. Un enchantement qui provoque une nouvelle représentation d'autant plus enthousiasmante qu'elle est nouvelle et se pose en porte-à-faux par rapport aux expériences que l'on avait. Le fait d'assister tous ensemble à une lecture publique ne signifie pas forcément qu'il y a des échanges et une parole libérés à propos des textes entendus. Mais cela réactive des pratiques plus ou moins occultées par le discours dominant sur la lecture comme construction d'une identité individuelle en rupture avec le collectif. La lecture à voix haute réintroduit dans l'imaginaire du livre cette dimension de l'échange qui, en France, a été complètement abandonnée. A certains moments de l'histoire sociale, on a l'impression que le caractère privé de la lecture perd son sens. Face à la démobilisation du public à l'égard du texte, la lecture à voix haute est une façon de remobiliser les gens et de redonner le goût du collectif autour du livre."

Martine Burgos, sociologue, EHESS.

Le meilleur comme le pire

"J'ai toujours envisagé que l'acte d'écriture s'accompagne d'une rencontre avec le public, dont la lecture à voix haute est une des formes. Il faut rappeler que les poètes sont à l'origine de ce mouvement. Aujourd'hui, je pense que la lecture à voix haute peut être la meilleure et la pire des choses. La meilleure parce que, dans un monde d'hypertrophie visuelle, le livre est un objet discret sinon invisible. A travers la lecture à voix haute, il trouve un autre moyen d'être présent et la littérature manifeste sa dissonance par rapport aux autres discours. Elle permet aussi de toucher un public qui ne se sent pas concerné par le livre ou ne s'y sent pas autorisé. Ensuite, dans toute littérature de création, il y a une composante charnelle, qui apparaît dans la lecture à voix haute. Mais celle-ci peut être la pire des chose si elle devient une fin en soi, si elle n'est pas un tremplin vers le livre. La vogue de la lecture à voix haute risque de faire oublier que la lecture silencieuse apporte aussi quelque chose de singulier et d'indispensable. C'est la seule lecture libre, elle est fondatrice, nous conduit à vagabonder dans le texte. On ne peut accéder à la polysémie d'un texte que dans l'arrêt. La lecture à voix haute se fait dans un temps contraint et interdit le passage dans l'épaisseur du mot. Il faut bien sûr continuer à diffuser les lectures à voix haute, mais il faut être franc et lucide quant à leurs dérives spectaculaires et aux dangers de réduire la littérature à cela. Je plaide pour leur multiplication, mais dans des formes qui évitent la démagogie et privilégient l'écoute. Mon souci est qu'elles induisent des lectures silencieuses et que le livre soit présent."

Jean-Pierre Siméon, poète, directeur artistique du Printemps des poètes.

Les dernières
actualités