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Quel Humensis chez Albin Michel ?

L'immeuble du groupe Humensis au 170 bis, boulevard du Montparnasse à Paris. - Photo OLIVIER DION

Quel Humensis chez Albin Michel ?

La reprise prochaine d'Humensis par Albin Michel offre de nouvelles perspectives pour les marques du groupe fondé par Denis Kessler. En attendant la signature définitive, se dressent plusieurs questions... Et quelques éléments de réponses.  

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Par Éric Dupuy
Créé le 06.12.2024 à 16h15

En annonçant mercredi 9 octobre l'entrée en négociations exclusives avec le groupe Albin Michel pour céder Humensis, son propriétaire, Scor, a mis fin à un suspense haletant. Bien malin celui qui jusque-là pouvait deviner qui d'Albin Michel ou de Madrigall remporterait le lot de douze entités éditoriales (PUF, l'Observatoire, les Équateurs, Belin...) et quelques titres de magazines spécialisés.

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La devanture de l'immeuble du groupe Humensis au 170 bis, boulevard du Montparnasse à Paris.- Photo OLIVIER DION

Madrigall encore au cœur du jeu

« Finalement, Humensis a fini par tomber du côté vers lequel il penchait depuis quelques années », fait part à Livres Hebdo un observateur avisé du dossier. Pourtant, en façade, ce sont bien les liens avec le groupe Madrigall et sa filiale Flammarion qui sont encore les plus tangibles. Cette dernière est actionnaire à hauteur de 1 % du groupe Humensis, dont les marques sont diffusées et distribuées par ses filiales Flammarion Diffusion et Union Distribution.

Première question : comment va évoluer cette branche stratégique ? « C'est lourd de changer de diffuseur et de distributeur, temporise Muriel Beyer, membre du directoire d'Humensis et patronne des éditions de l'Observatoire auprès de Livres Hebdo. Flammarion reste notre diffuseur et distributeur pour un certain temps », élude-t-elle. Il est vrai que le système de flux de tirage court dynamique (TCD) permettant un réassort optimal mis en place chez UD pour les PUF « fonctionne très bien », selon un collaborateur qui sait qu'il faudrait le réinventer ailleurs et notamment chez Dilisco, la filiale de diffusion-distribution d'Albin Michel.  

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Albin Michel dans le XVe arrondissement de Paris.- Photo OLIVIER DION

Dans les faits, les contrats signés pour la diffusion-distribution entre Humensis et Flammarion sont renouvelables annuellement. Est-ce que Dilisco reprendra la main sur l'aspect commercial et logistique dès la fin 2025 ? Il est clair qu'Albin Michel avait récemment la volonté de nourrir sa filiale de distribution, ayant massivement investi dans un nouvel outil logistique mis en place, non sans mal par ailleurs, en début d'année. « Il va y avoir une vraie réflexion pour Dilisco, relève un éditeur extérieur, et notamment cette question : pourquoi diffuserait-il la littérature générale d'Humensis et pas celle d'Albin Michel », toujours aux mains d'Hachette Distribution ?  

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L'immeuble du groupe Humensis au 170 bis, boulevard du Montparnasse- Photo OLIVIER DION

À couteaux tirés ? 

Autre lien entre Madrigall et Humensis, et autre interrogation : quel avenir pour « Classico » ? La collection réalisée en tandem par Gallimard pour la partie texte et Belin pour la fabrication est très profitable et toujours en croissance. « On ne change pas une équipe qui gagne, reprend un éditeur. D'autant plus qu'Albin n'a pas le même fonds que Gallimard pour la remplacer ».

Face à ces liens, c'est la relation entre Albin Michel et Madrigall qui est finalement encore au cœur du jeu. « Est-ce que cela va se jouer à couteaux tirés entre "les deux finalistes" ou bien d'une manière apaisée ? », interroge un spécialiste des mouvements capitalistiques dans l'édition. « Pour l'instant, je reste » assure Muriel Beyer. L'actuel P-DG d'Albin Michel Gilles Haéri est un ancien de Madrigall, groupe qu'il a quitté en 2018. Il connaît bien les PUF, l'une des maisons du groupe Humensis, après avoir siégé à leur conseil d'administration en tant que représentant de... Flammarion, dans les années 2010.  

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Les différentes marques du groupe Humensis- Photo OLIVIER DION

Selon Muriel Beyer, pour qui Albin Michel était « l'une des deux meilleures options » car « on a évité les fonds d'investissement et les très gros groupes », Humensis « va rester dans son état » et elle, à sa tête.

« Pour l'instant, il est question que je reste », assure la codirigeante, qui poursuit : « Albin Michel fait le même métier que nous. Alors certes, des changements, il y en a toujours lorsqu'on est racheté, mais cela devrait être circonscris aux services généraux ». Une réflexion partagée presque partout, en interne comme en externe. « Albin était la meilleure option pour les marques de littérature », souffle un collaborateur.

Reste la question de Belin, la marque scolaire, dont les employés sont évidemment plus circonspects par l'annonce du prochain mariage. Font-ils partie des « services généraux » qu'évoque Muriel Beyer ? Il y a bien la joint-venture de diffusion-distribution numérique Édulib entre Magnard, Vuibert (côté Albin Michel) et Belin (côté Humensis), qui est dorénavant rentable et a généré 10 millions d'euros de chiffre d'affaires l'an dernier, selon les résultats financiers.    

Déménagement en vue pour Humensis ?

Quelle stratégie pour le scolaire ? Le département voyait naturellement d'un meilleur œil une union avec un groupe, Madrigall, sans concurrent interne dans le scolaire. « Il y a aura sûrement des rapprochements avec Belin », anticipe Muriel Beyer. Si les fiançailles entre Humensis et Albin Michel sont prononcées, la messe n'est pas dite pour les départements scolaires. « On a déjà vu par le passé que, dans l'édition, ce n'est pas forcément une bonne stratégie de faire des substitutions », explique un dirigeant, au fait des problématiques de l'édition scolaire, à Livres Hebdo. « L'enjeu des marques scolaires, c'est de tenir entre deux réformes grâce à une bonne gestion des ressources », explique-t-il en assurant que « l'intérêt de l'acheteur est plutôt de réaliser le même schéma que Nathan et Bordas à Editis.»

D'autant que les forces ne sont pas les mêmes selon les trois marques en jeu.« Belin est faible en primaire, prescrit là où Magnard est fort : on peut imaginer par exemple que Belin sorte du primaire  pour se concentrer sur le parascolaire primaire », analyse-t-il. Une stratégie parmi d'autres sur la table d'Albin Michel.  

« La logique du métier fait qu'il vaut mieux partager des moyens mais garder de la concurrence sur l'aspect éditorial », philosophe un patron de maison, qui anticipe une année 2025 « chaude, intense et coûteuse » pour Albin Michel. Très vite d'ailleurs se posera la question du mariage physique des équipes, 190 salariés du côté d'Humensis, car le bail de location des locaux du boulevard du Montparnasse à Paris fêtera son 9e anniversaire en mars 2026. Une échéance importante dans la location professionnelle, et il semble peu probable que le repreneur rempile à cette adresse aux mêmes conditions.

Situation dégradée

Albin Michel s'apprête à récupérer un groupe avec une situation dégradée. Selon les derniers résultats financiers que Livres Hebdo a consultés, le chiffre d'affaires net éditeur s'élève à 36,8 millions d'euros et quelque 2,7 millions pour la cession de droits au 31 décembre 2023. Depuis 2021, date de la dernière réforme scolaire, le groupe perd de l'argent avec un actif net négatif de 4,2 millions d'euros, soit un million de plus que l'année précédente, après une recapitalisation du propriétaire, Scor, en 2022, de 8 millions d'euros. « La loi oblige un groupe de cette taille à présenter un actif positif d'au moins 300 000 euros après trois exercices en négatif », explique un expert financier.

Avant la fin 2025, Humensis est donc contraint soit de faire du profit, soit d'être une nouvelle fois capitalisé. Paradoxalement, cet actif net négatif n'est pas forcément une mauvaise nouvelle pour ce repreneur en bonne santé financière. Ce qu'on appelle dans le jargon de la fusion-acquisition de la « valeur négative » offre une possibilité de réduire sa fiscalité. Ces données sont complexes et nécessitent une ingénierie fiscale très importante. « Il y a plein de possibilités intéressantes à développer mais cela reste un énorme chantier », analyse un expert qui imagine mal le groupe Humensis ne pas disparaître à terme.

Reste à savoir comment ? Par un transfert des marques, ou une structure juridique séparée ? À la différence du groupe Albin Michel, Humensis appartient également à plusieurs petits porteurs, principalement descendants d'ayants-droits d'auteurs des PUF, dont la somme des parts ne dépasse pas 2 % du capital du groupe. Quelle sera la proposition d'Albin pour ces actionnaires ? Ces derniers sont dans la même expectative que les salariés du groupe. « On sait qu'on ne sera pas tous dans le bateau, soupire un collaborateur. Mais on est soulagé d'être enfin fixé sur l'avenir ». Consulté, le CSE d'Humensis a rendu son avis, qui reste à ce jour confidentiel, sur la vente du groupe à Albin Michel, mais dorénavant ce sont bien les dirigeants de ce dernier qui ont l'avenir d'Humensis entre les mains.

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