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Qui écrit les livres des politiques ?

Sylvie Delassus (Stock), éditrice de François Hollande (Affronter, 2021). - Photo Olivier DionOlivier Dion

Qui écrit les livres des politiques ?

Il y a ceux qui disent ouvertement avoir fait appel à un journaliste, ceux qui font écrire leurs collaborateurs, ceux qui ne l'admettrons jamais et quelques-uns qui ont « un rapport sincère à l'écriture ».

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Par Alexandre Duyck,
Créé le 02.01.2022 à 10h30

C'est une ancienne membre d'un cabinet ministériel qui confie. « Avec mes collègues, nous avons entièrement écrit le livre de notre patron. Chacun devait s'occuper de tel ou tel chapitre. Une fois le texte fini, nous avons même rédigé les fiches de lecture. » De sorte que le ministre, invité sur les plateaux de télévision, puisse évoquer et défendre le livre qu'il prétendait avoir écrit. Mais n'avait même pas lu...

Entre les personnalités politiques et la littérature, l'histoire d'amour dure depuis toujours. Comme si toutes et tous se sentaient obligés, un jour, une fois au moins, de publier. Histoire de marcher dans les pas de Clemenceau, de de Gaulle ou de Mitterrand ? On pensait pourtant que l'exercice du pouvoir ne laissait aucunement le temps de se prêter à toute autre activité, encore moins l'écriture. « Je me demande où ces gens, a priori tellement occupés, trouvent le temps d'écrire ! », ironise une éditrice parisienne. Avant de poser l'inévitable question : « En même temps, écrivent-ils vraiment ? »

Rien que ces derniers mois, combien de personnalités politiques ont publié un ouvrage ? François Hollande, Nicolas Sarkozy, Anne Hidalgo, Édouard Philippe, Fabien Roussel, Christian Jacob, Julien Bayou, Éric Zemmour, sans compter les ministres et secrétaires d'État Jean-Michel Blanquer, Marlène Schiappa, Sophie Cluzel, Olivia Grégoire, Sarah El Haïry, Emmanuelle Wargon, Gérald Darmanin, Bruno Le Maire... Une flopée de bouquins qui ne rencontrent pas toujours leur public (lire page suivante) et dont les parutions, pour ce qui est des membres du gouvernement, ont provoqué l'hydre jupitérienne. En septembre, le Canard Enchaîné rapporte ce propos d'Emmanuel Macron : « Les Français vont finir par se dire que les ministres ne foutent rien et qu'ils passent leur temps à écrire des livres. »

De vrais auteurs

Pour certains (ils sont rares), les avis sont unanimes : ces personnalités-là rédigent leurs ouvrages. Bruno Le Maire, François Bayrou, Alain Juppé, Christiane Taubira ou Jean-Luc Mélenchon dont Sophie Charnavel, directrice de Robert Laffont, dit : « On discute beaucoup en amont mais après, il écrit et sa copie est très propre. Il a un vrai rapport sincère à l'écriture. » À en croire Thierry Billard, ex-Plon, lui aussi chez Robert Laffont, la ministre de la Culture Roselyne Bachelot écrit elle aussi de la première à la dernière ligne. « Elle possède une vraie liberté de ton et ses textes possèdent à chaque fois un potentiel littéraire. »

Deux anciens chefs de l'État ont publié un ouvrage cette année : Nicolas Sarkozy et François Hollande, dont les livres se vendent fort bien par ailleurs. Un nom revient souvent au sujet du premier, celui de l'auteur (chez Plon), conseiller d'État et ancien secrétaire général du groupe France Télévision, Camille Pascal. Actuel conseiller de Jean Castex, Pascal travailla à l'Élysée avec Nicolas Sarkozy. Serait-il la fameuse plume cachée de son ancien patron ? « Bien sûr que c'est lui qui, si ce n'est écrit, du moins, intervient beaucoup sur les textes de Sarkozy », assure une éditrice influente. Notamment pour Le temps des tempêtes et ses plus de 200 000 ventes. Faux, rétorque l'intéressé, qui reconnaît avoir écrit des livres d'autres politiques (mais dont il tait les noms, contrats de confidentialité obligent) mais pas ceux de Sarkozy : « Je peux vous dire que j'ai vu de mes yeux ses manuscrits. »
 

Muriel Beyer, une des reines des best-sellers politiques, a notamment publié les ouvrages de Nicolas Sarkozy et Une femme française d'Anne Hidalgo.- Photo OLIVIER DION


Délégation de pouvoirs

Muriel Beyer est la directrice du pôle littérature générale d'Humensis, qui comprend notamment les éditions de l'Observatoire. Elle a publié François Bayrou au sujet duquel elle narre « des discussions interminables », l'ancien ministre, agrégé de Lettres à 23 ans, se montrant intraitable sur la moindre virgule. Au sujet de Nicolas Sarkozy, celle que la presse surnomme « la reine des best-sellers politiques » jure ses grands dieux que tout est faux : « Nicolas Sarkozy écrit lui-même, à la main, au fil de la plume. Il n'est pas forcément dans une écriture littéraire au sens propre, mais il a son écriture à lui. Il ne me dit rien de son texte mais au bout d'un moment, il m'appelle, "C'est bon, j'ai fini, venez à mon bureau" et là je lis tout. Il y a du boulot mais pas tant que ça et uniquement sur la préparation de la copie. »

Muriel Beyer a aussi publié le dernier livre d'Anne Hidalgo, Une femme française. La maire de Paris ne se cache pas de ne pas écrire ses ouvrages, auquel elle collabore toutefois de près... mais sans pour autant les cosigner. D'autres, moins scrupuleux, notamment les membres du gouvernement, confient l'écriture de A à Z soit à un journaliste (rémunéré pour l'occasion) soit à des collaborateurs parlementaires ou des membres de leur cabinet.

François Hollande est lui édité chez Stock, où il travaille avec Sylvie Delassus, autre personnalité éminente du livre politique. « Il écrit à la main, assure-t-elle. Je l'accompagne mais c'est lui qui écrit ses livres. » Vraiment ? On insiste. « Il y a une petite équipe qui travaille avec lui sur les textes. » Mais qu'en est-il de cette révélation croquignolesque racontée par France Inter en avril 2018 ? On y apprenait que Laurent Joffrin, alors directeur de la publication de Libération, avait envoyé par erreur un mail, contenant l'introduction du livre de Hollande, amendé par ses soins, au secrétariat d'Emmanuel Macron... pensant l'envoyer à celui de l'ex-président. Est-ce à dire que les livres de Hollande sont écrits par Joffrin, par ailleurs époux de Sylvie Delassus ? « Disons qu'il fait partie de sa petite équipe, assure l'éditrice. Ils se connaissent, ils sont très proches. » Laurent Joffrin, de son côté, affirme avoir simplement amendé l'introduction du livre, assurant que toutes ses corrections n'ont pas été conservées. En vérité, il se murmure que Joffrin, après avoir multiplié les entretiens, envoie ensuite à l'ex-chef de l'État des décryptages rédigés. Une base sur laquelle se base François Hollande pour écrire une première version.

 

Maël Renouard, embauché comme assistant parlementaire par François Fillon pour rédiger son livre Faire.- Photo © JF PAGA

Avalanche de propositions

Et les autres ? « Si vous saviez ce que je reçois comme propositions... » sourit Muriel Beyer. En moyenne entre deux et quatre projets tous les mois. « Mais il faut dire que je suis un peu le marronnier des livres politiques ! Beaucoup de personnalités politiques pensent que leur avis sur la France est décisif et qu'ils doivent le faire connaître par le biais d'un livre. » Comment refuser sans vexer ? « Je leur explique que je ne veux pas de livres programmes... »

Sylvie Delassus, elle aussi, est assaillie de demandes. « Le plus souvent, la proposition m'est faite de la part d'un ou d'une journaliste politique qui me dit :"Je connais une personnalité, elle voudrait écrire un livre", et tant qu'à faire avec ce journaliste... » L'éditrice avoue ne pas être souvent convaincue par l'intérêt de la proposition. Parfois, l'offre est formulée en sens inverse : l'homme ou la femme politique va charger un journaliste de solliciter les maisons d'éditions. « Mais quand je ne veux pas, je dis que je n'ai pas le temps, histoire de ne pas les vexer car ils demeurent des sources au quotidien pour mon travail », explique une journaliste.

Ghost writers

À l'inverse, certains auteurs se sont spécialisés dans ce travail de l'ombre. L'ancien professeur de lettres et polémiste à succès Jean-Paul Brighelli a raconté comment il avait écrit les livres de Jean-Louis Borloo, Patrick Balkany ou Christian Estrosi sans que son nom n'apparaisse sur les couvertures, affirmant qu'en politique, « 80 % des livres sont écrits par des "nègres" ». Un pourcentage qui semble exagéré aux yeux des éditeurs, qui tablent plutôt sur une bonne moitié.

Ancienne journaliste politique au JDD puis à L'Obs, Cécile Amar a rédigé celui de l'ancienne ministre Cécile Duflot, paru chez Fayard en 2014. « Il n'a jamais été envisagé qu'elle écrive toute seule, confie-t-elle. Elle venait de quitter le gouvernement, elle m'a dit"Je ne sais pas écrire de livre", elle a été claire du début à la fin. » La journaliste apparaît logiquement (en page 3) de l'ouvrage. Tout était stipulé dans le contrat d'édition. « Il en existe autant que de livres », assure Sophie Charnavel. Celui où il est écrit noir sur blanc que le coauteur n'apparaîtra pas dans le livre ; celui où rien n'est mentionné (ce qui revient à le rendre également invisible, avec, dans les deux cas, signature d'une clause de confidentialité interdisant de révéler qui a écrit l'ouvrage) ; celui où le coauteur apparaît en couverture, sous la mention habituelle « avec... » en plus petites lettres que le nom de la personnalité ; celui où il est stipulé que le coauteur sera cité en page 3 (mais pas en couverture) ou dans les remerciements à la fin de l'ouvrage.
 

Sophie Charnavel, directrice de Robert Laffont, grande habituée des livres politiques.- Photo OLIVIER DION


Comme Jean-Pierre Raffarin qui, à la fin de Choisir un chef (Michel Lafon), remercie nommément la personne qui l'a aidé. « C'est la même chose pour l'argent reçu, reprend Sophie Charnavel. En règle générale, sauf exception, les politiques ne sont pas les personnalités les plus gourmandes en avance. » Les coauteurs reçoivent un à-valoir, qui tourne souvent entre 5 et 10 000 euros. Pour les pourcentages sur les ventes, c'est au bon vouloir du soi-disant auteur qui peut partager à hauteur de 60-40 % ; ou moins ; ou laisser un symbolique 1 %, voire rien du tout.

Quand elles sont membres du cabinet ou conseillers parlementaires, ces plumes invisibles ne perçoivent pas un centime de la part de la maison d'édition, leur employeur politique estimant que leur rémunération habituelle comprend ce type de mission. Une pratique répandue mais qui peut coûter cher, à l'image de François Fillon. Six ans après la parution de son Faire chez Albin Michel en 2015 (en échange d'un à-valoir record), la justice s'intéresse toujours à l'embauche comme assistant parlementaire de Maël Renouard. L'enquête, menée par l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales doit déterminer si le contrat d'assistant parlementaire de l'écrivain, payé, selon RTL, 38 000 euros sur fonds publics pendant cette période, pouvait être justifié par cette seule mission. À savoir écrire le livre signé d'un autre.

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