Régis Debray : « Le livre doit se remuer »

Régis Debray ©C. Hélie/Gallimard

Régis Debray : « Le livre doit se remuer »

Dans Le Monde daté du 7 mars, le philosophe raconte qu'il vient d'apprendre qu'une commission mise en place par l'Elysée et présidée par Marc Levy, Paul-Loup Sulitzer et Michel-Edouard Leclerc aura pour objectifs de « réformer la lecture et moderniser le livre ». Un canular qui pointe habilement quelques tentations actuelles.

Par Daniel Garcia
avec dg Créé le 15.04.2015 à 21h00

Sous le titre « Dépoussiérer les livres... », Régis Debray a fait paraître, dans Le Monde de jeudi 6 mars (daté 7 mars), un canular qui, il faut bien l'avouer, démarre sous les aspects de la plus attristante véracité. Régis Debray y raconte en effet qu'il vient d'apprendre qu'à la demande de l'Elysée une commission s'est mise en place, qui a pour objectifs de « réformer la lecture et moderniser le livre ». Présidée par le romancier Marc Levy, elle compterait notamment, parmi ses membres, Paul-Loup Sulitzer et Michel-Edouard Leclerc. Dans un pré-rapport, ladite commission propose déjà d'explorer des pistes pour redynamiser cette « branche industrielle passablement nécrosée » : abolition du dépôt légal pour tous les ouvrages — ne seraient plus déposés que les ouvrages figurant dans les listes de meilleures ventes ; abrogation de la loi Lang (le « prix unique » étant synonyme de « pensée unique »…) ; abandon du projet de bibliothèque numérique européenne et soutien « atlantiste » à l'initiative de Google ; autorisation de la publicité pour le livre sur les grandes chaînes privées de télévision, etc.
Publié, en début de soirée, sur le site du quotidien, ce texte avait déjà recueilli, à 22h, plus d'une vingtaine de réactions d'internautes… dont beaucoup, n'ayant pas compris qu'il s'agissait d'une farce (enfin, pour l'instant…) s'alarmaient de ces informations, preuve, s'il en fallait encore, que plus rien, hélas, n'étonne de la part de l'actuel gouvernement.
Joint dans la soirée par courriel, Régis Debray a répondu brièvement à quelques questions :

Livres hebdo : Quelle était votre intention, en publiant ce texte ?
Régis Debray : Désamorcer, par l'ironie, certaines velléités ambiantes, assez dangereuses, à la fois populistes et capitalistes.

LH : Avez-vous déjà reçu des réactions ?
RD : À ce stade, quelques sourires de connivence.

LH : Vous évoquez des mesures (publicité à la télé sur les chaînes privées, abrogation de la loi Lang...) qui sont effectivement dans un certain « air du temps », portées par des gens qui voudraient en effet « moderniser », disent-ils, le marché du livre : déplorez-vous l'absence d'une contre-offensive virulente ?
RD : Oui, et je me demande bien pourquoi elle n'a pas lieu.

LH : Les professionnels de la culture ont récemment manifesté contre les projets du gouvernement. Pensez-vous que le monde du livre devrait, lui aussi, se bouger ?
RD : Oui, le livre doit se remuer, sinon on bougera pour lui

LH : Refuser une certaine 'marchandisation' et certaines voies triviales passe aujourd'hui pour de l'élitisme. Doit-on assumer cet élitisme, s'agissant du livre, ou revendiquez-vous une autre voie ?
RD : Oui, assumons la méritocratie républicaine, le fameux « élitaire pour tous » de Vitez. Sinon, on aura la partition américaine : le drugstore d'un côté, la librairie universitaire de l'autre, Da Vinci Code ici et la thèse sur le néoplatonisme là. Ce grand écart menace. Prenons les devant.

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