Romans qui font du bien

Romans qui font du bien : ne dites plus « feel-good », dites « pop littérature »

Lectrice - Photo Olivier Dion

Romans qui font du bien : ne dites plus « feel-good », dites « pop littérature »

Les éditeurs cherchent à redéfinir le genre des romans « qui font du bien » et qui, construits à l'origine sur le dépassement d'épreuves intérieures, glissent de plus en plus vers des préoccupations sociétales, se faisant les chambres d'écho de problématiques parfois graves qui touchent tous les lecteurs. _ par Cécile Charonnat

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Par Cécile Charonnat,
Créé le 17.06.2020 à 19h58

Si elle garde du sens pour les lecteurs et reste revendiquée par certaines auteures, l'étiquette « feel-good books » est désormais vigoureusement repoussée par une bonne partie du milieu du livre. Le rejet est particulièrement marqué chez les éditeurs de littérature générale qui la trouvent « trop fourre-tout », « réductrice » et ne correspondant à « aucune réalité ». « C'est un label qui vient du cinéma et qu'on a employé par commodité, martèle Hélène Fiamma, directrice de J'ai lu. Mais il a fait son temps et aujourd'hui, nous travaillons avant tout avec des auteurs qui ont leur style, leur genre et leur singularité. »

Florence Lottin, Pygmalion- Photo OLIVIER DION

Dès lors, comment dénommer ces livres qui existent bien et qui ont pour traits communs d'accorder un rôle central au narratif et au divertissement ; de s'emparer du quotidien et de saisir l'air du temps ; de jouer sur une identification très forte aux personnages et aux intrigues ? Littérature bienveillante ? Livres roudoudou ? Livres qui font du bien ? La formule « pop littérature » tend à s'imposer (Eyrolles l'orthographie avec une apostrophe : pop'littérature). Pop pour l'aspect populaire, accessible au plus grand nombre, mais aussi pour le côté pétillant, résolument optimiste de ces livres, quelles que soient les situations qu'ils mettent en scène.

Stéphanie Ricordel, Eyrolles- Photo OLIVIER DION

Au-delà des débats sémantiques, cette littérature poursuit son essor. Dans notre Top 50 des meilleures ventes de livres 2019, les romans relevant de la pop littérature occupent une quinzaine de places. « Cette littérature est parvenue à s'installer, elle est très présente, très active et très populaire », confirme Florence Lottin, directrice de Pygmalion. Au point que certains éditeurs n'hésitent plus à la faire entrer dans les rangs de la littérature générale et contemporaine, prônant une disparition de l'étiquette. « Il n'y a pas d'autre genre que celui de l'auteur », professe Louise Danou. L'éditrice de Flammarion n'hésite d'ailleurs pas à placer certains de ses poulains « dans les pas des grands écrivains du XIXe siècle, qui avaient pour but de divertir, d'édifier et d'élever le plus grand nombre. C'est ça, la littérature populaire ».

Charlotte Allibert, Librinova- Photo OLIVIER DION

Lettres de noblesse

Sans avoir tout à fait acquis ses lettres de noblesse, la pop littérature suscite de moins en moins de préjugés. « Globalement, le genre est mieux perçu, sans doute parce que cela correspond à ce que les gens attendent et achètent en quantité », note Sandrine Dantard, libraire à la Fnac Grand Place de Grenoble. Preuve de cette reconnaissance toute neuve, « en librairie, les rayons sont de plus en plus identifiés avec des tables entières consacrées à ces livres. On s'aperçoit finalement qu'il y a de bonnes choses et pas forcément mal écrites », pointe Florian Lafani, directeur éditorial de Fleuve éditions.

Pourtant, malgré ce concert de bonnes nouvelles, le marché de la pop littérature a tendance à s'essouffler, notamment chez les éditeurs de poche, grands déclencheurs de succès. « Mais c'est un phénomène purement mécanique, tempère Florence Lottin. La diversification et la multiplication des parutions entraînent une dissémination des ventes plus qu'un essoufflement. » Certains titres connaissent d'ailleurs des cycles de vie peu banals. Selon Stéphanie Ricordel, responsable éditoriale chez Eyrolles, les ventes de Kilomètre zéro de Maud Ankaoua, paru en 2017 et sorti en poche en octobre dernier, ont progressé de plus de 30 % en grand format en 2019.

Toutefois, pour anticiper une lassitude chez les lecteurs et une potentielle érosion du marché, les éditeurs cherchent dès maintenant à faire un pas de côté. « On sent qu'ils sont en quête d'une certaine originalité, de quelque chose d'un peu différent, de plus abouti, dans les thématiques comme dans l'écriture », note Charlotte Allibert, cofondatrice de Librinova qui reste un vivier très apprécié des éditeurs pour dénicher de nouvelles voix. Cette stratégie correspond aussi à une évolution de la pop littérature. Ancrée dans le quotidien et très sensible à l'air du temps, elle « s'installe de plus en plus dans le réel », allant jusqu'à aborder des questions de société, observe Stéphanie Ricordel. « Alors qu'elle est née d'enjeux intérieurs à surmonter, elle s'ouvre vers les autres, la notion de communauté, le collectif, bref l'extérieur », confirme Danaé Tourrand. La responsable éditoriale chez Leduc.s (Leduc, Charleston, Alisio) cite en exemple Rendez-vous au café du bonheur. Publié en février, le texte de Lucy Diamond raconte l'histoire d'une jeune femme qui trouve sa voie dans un café dont elle hérite et autour duquel elle parvient à fédérer les énergies du village.

Gagner en profondeur

Si les ruptures amoureuses, la transmission intergénérationnelle, le deuil ou plus généralement la reconstruction à la suite d'une épreuve restent des thèmes dominants, la pop littérature s'abreuve donc désormais aux préoccupations actuelles et gagne en profondeur. La guerre en Syrie et l'émigration apparaissent en toile de fond dans Une rencontre au bord de l'eau, de Jenny Colgan (Pocket, juin). Le retour à la nature et la nécessité de la protéger constituent également des thèmes forts des romans qui font du bien. « Le sujet traverse l'ensemble de la société. Il était évident que la pop littérature allait s'en emparer », observe Florence Lottin. L'héroïne de Les lendemains de Mélissa Da Costa (Albin Michel, février) trouve le salut grâce au jardinage et à la nature. Chez Flammarion, Le fermier qui parlait aux carottes et aux étoiles, de Julia Mattéra (mai) sensibilise au changement climatique alors qu'Eric de Kermel a choisi de mettre en scène une écologue qui se réfugie en haute montagne pour résoudre ses tourments professionnels et défendre plus efficacement la nature (Mon cœur contre la terre, Eyrolles, 2019). « La recherche fictionnelle de solutions pour un nouveau monde est très présente dans les manuscrits », assure Stéphanie Ricordel qui annonce avoir « de quoi publier pendant deux ans » sur cette tendance.

Le phénomène #MeToo étant passé par là, le féminisme irrigue également la pop littérature. D'héroïnes jeunes et stéréotypées, souvent attachées à se réaliser à travers la formule classique du couple hétérosexuel, les textes glissent progressivement vers des femmes plus complexes et plus âgées, quadragénaires ou quinquagénaires qui souhaitent avant tout s'affranchir de toute dépendance et parvenir seules, ou à l'aide d'une tribu, à s'épanouir en se tournant vers des activités porteuses de sens. « On est moins dans des problématiques de minettes, dans des schémas traditionnels, pointe Maëlle Guillaud, éditrice chez Albin Michel. Les personnages féminins possèdent désormais une colonne vertébrale et un quotidien plus assuré. » Ce sera aussi la trame du prochain roman de Marion Michau à paraître chez Albin Michel en fin d'année, qui a toutefois pris le parti de « faire rire », affirme l'éditrice.

Femmes au travail

Des sujets plus graves tels l'épuisement parental (L'école des mamans heureuses, Sophie Horvath, Flammarion) voire l'abandon d'enfants émergent également. Le cocktail explosif entre le féminisme et le pouvoir est à la source de La dictatrice de Diane Ducret (Flammarion, janvier). La sororité constitue aussi une source d'inspiration, tout comme « le polyamour », relève Lina Pinto. L'éditrice et responsable des manuscrits chez Albin Michel promet pour 2021 « le premier roman feel-good homosexuel ».

Le féminisme s'étend au monde du travail. « Beaucoup d'héroïnes manifestent l'envie de prendre leur vie en main et notamment leur carrière professionnelle », souligne Charlotte Allibert. C'est l'objectif de Béatrice Courtot, qui, avec Vise le soleil sans te brûler les ailes, publié chez Charleston en janvier, a concocté une fiction pour aider les femmes à s'affirmer en entreprise. Un guide pratique ainsi qu'une application smartphone prolongent l'ouvrage pour accompagner celles qui désirent suivre la voie du personnage principal.

Plus globalement, le milieu professionnel représente une autre piste qu'explorent auteurs et éditeurs pour donner un nouvel élan à la pop littérature. Avec la collection « Behind the scene », Stéphanie Ricordel souhaite donner à lire « des fictions réalistes dans le monde du travail d'aujourd'hui jusqu'à s'approcher parfois de l'autofiction ». Le premier titre, N'en fais pas une affaire personnelle, de Laura Marchioni, programmé avant l'été, sera suivi en octobre de Je ne te pensais pas si fragile.

Le monde du travail a la particularité d'être aussi traité par des voix masculines. Chez Alisio, le succès d'Il suffit d'une rencontre pour changer de vie, d'Anthony Névo, repris en janvier au Livre de poche et qui suit le parcours d'un entrepreneur, a suscité un vif intérêt chez Leduc.s. « Depuis, nous sommes allées chercher davantage d'hommes. Ils apportent un autre regard, abordent des univers différents et nous permettent d'élargir notre palette », explique Danaé Tourrand. Le Grain de café de Jon Gordon, programmé en mai et qui accoste sur les rives de la spiritualité, est directement issu de cette réflexion.

Plus d'hommes parmi les auteurs

Généralement moins positionnés sur ce genre pour des raisons qui tiennent encore à « un inconscient collectif voire à des préjugés », estime Florence Lottin, les hommes sont pourtant bien présents sur le segment de la pop littérature. Sans être forcément estampillés comme tels, Gilles Legardinier, Laurent Gounelle, Guillaume Musso, Marc Levy et David Foenkinos pour les historiques, Bruno Combes, Julien Sandrel, Eric de Kermel, Paul Ivoire, Jean-Gabriel Causse, Gavin's Clemente-Ruiz ou Aloysius Chabossot pour les nouvelles plumes, s'emparent du genre « sans que cela ne pose le moindre problème vu le niveau des ventes », signale Florian Lafani qui publiera en fin d'année la nouvelle comédie familiale de Jean-Louis Festjens et Pierre Antilogus. « On a besoin de ces voix et de ces héros masculins pour capter un public d'hommes que l'on voit progressivement arriver mais qui peine à s'identifier à des héroïnes », soutient Julie Vandamme, libraire chez Molière à Charleroi.

Message parfaitement reçu chez les éditeurs. En 2020, les héros masculins s'enracinent dans la pop littérature. Dans Se le dire enfin (Flammarion, février), Agnès Ledig met en scène Edouard qui quitte une vie bien réglée pour renaître en forêt de Brocéliande, tout comme dans L'ange et le violoncelle, de Claire Renaud à paraître prochainement chez Fleuve éditions. Au même moment, les quatre quadras de Gavin's Clemente-Ruiz seront chargés de séduire les lecteurs (La divine comédie de nos vies, Albin Michel). A l'automne, le héros de Michel Rollion hantera les rues de New York à la recherche de sa femme dans L'homme qui voulait mourir vivant, un roman au « ton différent avec une ambiance un peu thriller, qui décale légèrement le genre », espère Stéphanie Ricordel. 

Des docus « qui font du bien »

Certains éditeurs testent, à côté du roman, le documentaire « qui fait du bien », héritier plus ou moins proche du témoignage résilient. Telle est la ligne directrice du label #sansfiltre de Jouvence, lancé en mai avec Envoie-toi toi-même ces putains de fleurs de Tara Schuster. Sorte de journal de Bridget Jones mais « en version authentique », précise Charlène Guinoiseau-Ferré, responsable éditoriale chez Jouvence, le texte apporte « un arrière-plan vécu et sincère » qui permet une identification très forte. Dans un style un peu différent, Ces héros qui ratent leur vie pour que tu réussisses la tienne, de Marianne Lévy, représente aussi pour Pygmalion un ballon d'essai. Ce « premier livre de série-thérapie » utilise des protagonistes de séries télé pour prodiguer des conseils de développement personnels sur un ton léger et drôle. Et si ce genre hybride est encore peu présent dans l'édition, le succès de certains titres en autoédition laisse augurer l'émergence possible d'une nouvelle veine.

Chez les libraires, « le devoir d'être curieux »

Après l'avoir longtemps regardée d'un œil circonspect, les libraires portent une attention grandissante à la pop littérature, qui draine une population large et potentiellement captive.

Après l'avoir longtemps regardée d'un œil circonspect, les libraires portent une attention grandissante à la pop littérature, qui draine une population large et potentiellement captive.

Florian Lafani- Photo OLIVIER DION

Depuis janvier, la librairie Le Pavé du canal, à Montigny-le-Bretonneux, a fait migrer la pop littérature, appelée ici « littérature bien-être », des abords du développement personnel au pôle littérature. « Les nouveautés et les coups de cœur sont sur table, en entrée de rayon, et le fonds interclassé dans les étagères, explique Pauline Amiet, directrice du magasin. C'est un choix cohérent en regard de la clientèle que ces romans attirent et qui sont tout autant à classer en littérature que n'importe quelle fiction. »

Signe de la normalisation de la pop littérature, longtemps reléguée aux abords du rayon développement personnel, cette stratégie se répand dans les points de vente où les libraires s'emploient en outre à identifier clairement cette production. La Fnac a créé l'année dernière un univers « cultivez votre optimisme » au sein du rayon littérature. A Quimper, chez Ravy, Valérie Le Bras installe dans son rayon littérature un présentoir en forme de pyramide qu'elle baptise « I feel good » du mois de mars au mois d'août, tandis que la mise en avant est permanente chez Molière (Charleroi) ou chez Grangier à Dijon.

Au-delà de ces dispositifs, certaines libraires s'emparent pleinement de la pop littérature en constatant qu'elle touche un public large, différent, qui ne fréquente pas forcément leur magasin. Jeune libraire, Soline Boissard, 28 ans, a justement été nommée responsable du rayon poche de Grangier « pour ramener ce public en librairie ». Comme Sandrine Dantard à la Fnac de Grenoble, Michèle Eloy au Pavé du Canal, Lydie Zanini, lectrice de longue date à la Librairie du théâtre à Bourg-en-Bresse, ou Julie Vandamme chez Molière, elle multiplie les conseils, les coups de cœur et les animations dans les rayons. Les rencontres, qu'elle a déjà organisées avec Laure Manelle ou Agnès Martin-Lugand lui permettent de toucher « un public plus jeune, moins exigeant littérairement mais actif sur les réseaux sociaux » et qu'elle ne voit jamais lors d'autres événements.

Du monde dans les magasins « Les libraires réfléchissent en économie globale et se rendent compte que ces nouvelles voix drainent du monde dans les magasins », confirme Florian Lafani, directeur éditorial chez Fleuve Editions. « Finalement, notre meilleur argument pour convaincre les libraires reste nos ventes : les gens ont envie de lire ces livres », résume Danaé Tourrand, éditrice achez Leduc.s, qui a d'ailleurs décidé de recruter une responsable de relations libraires chargée de défendre cette production.

Chez Cultura, en revanche, aucune révolution n'a été nécessaire : « Ce genre correspond à notre vision de la culture qui ne repose sur aucune segmentation », souligne Eric Lafraise, chef de produit livre de l'enseigne. « C'est aussi un devoir de nos libraires d'être curieux et de s'intéresser à tout nouveau genre », ajoute-t-il. Club de lecture, théâtralisation de l'offre, concours... Cultura est l'une des enseignes les plus actives sur la pop littérature, dont elle a su très tôt percevoir le potentiel. Partenaire depuis le départ d'Aurélie Valognes ou de Virgine Grimaldi, la chaîne ne cesse de porter de nouveaux auteurs. C'est notamment le sens du partenariat conclu avec Librinova : chaque année, Cultura reçoit cinq textes issus de la plateforme d'autoédition parmi lesquels son comité de lecture sélectionne un coup de cœur qu'elle s'engage à soutenir (mises en avant conséquentes, rencontres et dédicaces) si un éditeur accepte de les publier. Un choix qui « a du poids auprès des maisons », constate Charlotte Allibert, cofondatrice de Librinova, jouant à plein son rôle de réducteur de risques économiques.

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