26 avril > Roman France

Franz-Olivier Giesbert- Photo CATHERINE HÉLIE/GALLIMARD

Franz-Olivier Giesbert romancier possède, outre son talent, un art certain pour dénicher des sujets scabreux, inventer des héros particulièrement antipathiques. C’est le cas avec Rouzane, dite Rose, une centenaire d’origine arménienne installée à Marseille depuis 1969, patronne d’un restaurant réputé sur le Vieux-Port, La Petite Provence. La cuisinière d’Himmler, c’est elle. Une mémé flingueuse, grossière et politiquement incorrecte, qui a traversé tout le XXe siècle - peut-être le plus barbare de tous les temps avec ses 231 millions de morts estimés - de façon rocambolesque, et qui a décidé, en 2012, d’écrire ses Mémoires. Ou plutôt, mettre à jour « la liste de [ses] haines », qu’elle a tenue tout au long de sa longue existence.

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Rouzane est née en 1907, Arménienne de Turquie, à Kovata, près de l’antique Trébizonde. Sa famille a été décimée en 1915, durant le génocide. Elle s’en est sortie par miracle, grâce à des musulmans « modérés » qui ont fait d’elle leur esclave sexuelle. Toute jeune, la gamine était assez délurée, et le restera. Devenue Rose, elle n’hésitera jamais à recourir à ses charmes pour séduire les hommes - et même, sur le tard, une Malienne avec qui elle se fera faire un fils, Mamadou - et se tirer des situations les plus périlleuses. La voilà à Marseille une première fois, en 1917, puis adoptée par les Lempereur, des paysans provençaux qui lui apprennent son métier, forment son goût pour les produits naturels, la cuisine médicinale, le végétarisme. C’est là, en 1925, qu’elle rencontre Gabriel, un châtreur intello spinoziste, son premier grand amour avec qui elle aura deux enfants, Edouard et Garance. Ils montent à Paris. Lui devient le nègre d’un écrivain farouchement antisémite, tandis qu’elle ouvre sa première Petite Provence, rue des Saints-Pères. Arrive la guerre. Gabriel, dénoncé comme juif (à tort, semble-t-il), divorce et s’enfuit avec les enfants. Ils mourront à Dachau. Rose, après être retournée régler ses premiers comptes en Turquie, séduit Himmler, assidu à son restaurant, par ses talents culinaires. Il l’emmène en Allemagne, en 1942. Elle le sert, devient sa maîtresse. Sa fille, Renate, vite abandonnée, était-elle de lui ? Rose fait même la cuisine pour Hitler, à Berchtesgaden. Sans l’empoisonner ! Elle s’en tire, s’exile un temps aux Etats-Unis, où elle devient amie avec Sartre et Beauvoir, les suit en Chine, où elle tombe amoureuse de Zhongling, un commissaire politique francophile victime de la Révolution culturelle, à laquelle elle échappera via l’Albanie, avant de revenir poser sac à terre à Marseille, ouf. Et d’y ruminer ses souvenirs, ses rancœurs.

Avec ce roman, Franz-Olivier Giesbert s’est forgé un prétexte pour faire le procès du siècle dernier, sur quoi, via son héroïne, son jugement est sans appel : « L’Histoire est une saloperie. » Lui aussi règle quelques comptes personnels, avec Sartre, sa bête noire, et quelques autres. Quitte à asséner quelques jugements qui ne manqueront pas de susciter la controverse : « Pour un Camus qui a vraiment résisté, combien de Sartre ou de Gide qui se sont pris pour le vent mais n’étaient que la girouette ? » Gide, réfugié en Afrique du Nord, n’a jamais, durant la guerre, été une « girouette ». Dès 1940, il a choisi son camp, contre Vichy et les nazis. Son Journal en témoigne. Quant à La cuisinière d’Himmler, c’est un livre extrême, cru, d’une noirceur et d’un pessimisme absolus. Jean-Claude Perrier

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