Roman/Hongrie 6 février György Spiró

Les grands témoins de nos vies sont les animaux de compagnie. Sôseki a traduit cette vérité empirique en un roman délicieux, Je suis un chat. Sans avoir recours à la psychologie des bêtes, la littérature fait appel à d'autres scrutateurs : les domestiques, toujours aux premières loges, ou plutôt dans la coulisse... sachant tout des secrets d'alcôve comme de la petite tambouille de leurs maîtres, qui affichent bien souvent un autre visage en public.

Le romancier et dramaturge hongrois György Spiró a enfilé la blouse de l'infirmière d'Alexei Maximovitch Pechkov dit Maxime Gorki (1868-1936) afin de nous livrer une fiction pleine d'esprit et de cocasserie, Diavolina. La narratrice, la « diablesse », comme la surnomme Gorki, nous fait pénétrer dans l'intimité de l'auteur des Bas-fonds et brosse du mouvement bolchevique et de « l'homme nouveau » soviétique un tableau grinçant : « Des brutes malfaisantes surgissaient de partout, et supprimaient tous ceux qui valaient mieux qu'elles : ça s'appelle la révolution. » Quoique au service d'intellectuels révolutionnaires, on l'avait mariée sans véritablement lui laisser le choix à un autre domestique afin qu'elle reste sous le même toit. Nouvelle ère, nouvelles hiérarchies, et une police politique plus féroce encore que la tsariste.

C'est Gorki qui va entrer, pour ainsi dire, dans la vie d'Olimpiada, ou Lipa. Puisque « Alexis », alias Gorki, est d'abord l'amant de sa maîtresse, Maria Fedorovna Andreïeva, comédienne de renom, chez qui elle fut placée à 10 ans. Lipia, quoique infatuée du héraut du réalisme-socialisme des lettres, est lucide vis-à-vis de celui dont elle accompagnera les derniers pas comme infirmière et compagne non officielle. Ce « faux paysan » est séducteur et obséquieux : « En présence des femmes, il se voûtait un peu, comme s'il avait honte d'être grand alors qu'il ne l'était pas du tout [...]. » Il collectionne les liaisons : l'actrice susmentionnée, mais aussi Moura, ancienne dactylo, qu'il « partage » avec H.G. Wells. Ponte du régime, il essaye de plaider en faveur des intellectuels auprès de Lénine (« un tas de merde », dixit le père de la révolution), puis de Staline. En vain... De Blok à Chostakovitch, en passant par Nina Berberova, au programme culturel : persécutions, exil ou exécution. A travers ses yeux enamourés et par ses mots acides (son franc-parler prolétarien), Diavolina est une satanée narratrice.

György Spiró
Diavolina - Traduit du hongrois par Natalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba
Actes Sud
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 21,50 euros ; 240 p.
ISBN: 9782330118341

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