29 août > Premier roman France

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Animateur sur Radio Classique, auteur d’un livre sur la pianiste Martha Argerich et d’un autre d’entretiens avec la cantatrice Teresa Berganza (parus chez Buchet-Chastel, 2010 et 2013), Olivier Bellamy est un connaisseur de la musique classique. Mais, si l’on en juge par ce roman, son premier, son érudition est aimable et non dénuée d’humour, et il possède suffisamment de fantaisie pour s’être intéressé à Sergueï Prokofiev, l’un des plus grands compositeurs russes du XXe siècle et de tous les temps, l’un des plus prolifiques, mais aussi un personnage hors normes. Incarnant jusqu’au bout de ses doigts de pianiste « l’Artiste » absolu, dans ce qu’il a de meilleur (le génie) et de pire : égoïsme, mégalomanie, sauvagerie, démesure. Un « tout pour la musique » qui lui a fait sacrifier à son art sa propre liberté, mais aussi le bonheur des siens, de sa femme en particulier, Lina, arrêtée lors des grandes purges staliniennes de 1948 orchestrées par Jdanov, et condamnée à vingt ans de goulag en Sibérie. C’est cette destinée tragi-comique des Prokofiev qu’Olivier Bellamy a choisi de mettre en mots, avec originalité, élégance et empathie.

Après un prologue situé en 1983 où la survivante Lina Prokofiev (elle est morte en 1989, à 91 ans) exige d’enregistrer sa version de Pierre et le loup aux mythiques studios d’Abbey Road, à Londres, fidèle à ce qu’aurait souhaité son défunt mari, six épisodes se succèdent, en flash-back. Prokoviev à Paris, en 1932, vivant dans le confort avec Lina et leurs deux fils, fêté par ses amis, Poulenc ou Nabokov, composant et disant tout le mal qu’il pense de ses compatriotes (et rivaux) Rachmaninov, Stravinsky ou Chostakovitch, qu’il retrouvera plus tard à Moscou.

Car Prokofiev a d’ores et déjà décidé de regagner la mère patrie, de se mettre au service du peuple russe, tout en ne partageant pas les idées de Staline et de ses sbires. « Ils ne vont pas envoyer Mozart en Sibérie », pensait l’ancien enfant prodige. Certes pas. Mais, dès le retour du Maître au pays, en 1935, et en dépit d’un statut privilégié qui suscitait d’ailleurs pas mal de jalousies chez les musiciens apparatchiks du régime, il doit faire face à des tracasseries administratives, à des brimades. Qui, durant la guerre, se transformeront en censure, en interdiction de quitter l’URSS pour donner des concerts. C’est le moment que choisit le compositeur pour abandonner Lina et les enfants au profit de sa maîtresse Mira Mendelssohn, une Juive stalinienne avec qui il vivra jusqu’à sa mort. Lorsqu’en 1948 Lina sera arrêtée - lui-même, comme Chostakovitch, étant mis à l’index, sur la fameuse « liste noire », pour cause de « formalisme » -, il ne tentera pas grand-chose, et son fils aîné, Sviatoslav, lui en voudra toute sa vie.

Prokofiev, après un Cyrano de Bergerac testamentaire, est mort de maladie, le 5 mars 1953. Selon la légende, il aurait eu juste le temps d’apprendre et de savourer la mort de Staline, survenue le même jour, du moins officiellement. On pense, en fait, que le tyran était décédé quelques jours plus tôt, dans sa datcha. Comme un vieux loup solitaire, dans la gueule de qui Prokofiev était venu se jeter, aveuglé par son patriotisme et sa foi en sa musique. J.-C. P.

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