15 avril > Essai France

Fruit de ses escapades journalistiques à la recherche des maisons d’écrivains, de ses cours à l’Université populaire d’Argentan, le nouveau livre d’Evelyne Bloch-Dano, amatrice de jardins elle-même en dépit du fait qu’elle dise n’avoir pas "la main verte", constitue l’une des approches les plus subtiles, les plus fondamentales aussi, de l’univers de certains écrivains illustres. Un excellent angle d’analyse, car le jardin, réellement possédé, simplement fréquenté durant l’enfance, ou totalement imaginaire, est, selon l’auteur, "une dimension essentielle de l’œuvre", "un vecteur d’imaginaire" et "un miroir". Ainsi Christian Bobin, l’un des deux seuls vivants du livre (avec le très parisien Modiano), jardinier sans jardin, dit-il joliment : "Je fais du tout petit, je témoigne pour un brin d’herbe."

Tous ces brins, Evelyne Bloch-Dano les a rassemblés dans un herbier unique. En bonne pédagogue, tout en y mêlant quelques souvenirs personnels, elle commence par un balayage de l’histoire du jardin, né en Orient, tout comme le Paradis, jusqu’à nos jours, à travers la renaissance de cet art de vivre et d’aménager la nature, ressuscité par quelques maîtres, comme Gilles Clément ou Alain Baraton.

Puis, elle passe à ses sujets d’étude, chronologiquement : Rousseau, des Charmettes de Madame de Warens à Ermenonville où il est mort, Zola et son "paradou", Proust, "jardinier magicien" en littérature, mais empêché, si tant est qu’il en ait eu l’envie, de pratiquer, à cause de son asthme, Colette, Duras, toujours dans la posture et l’emphase, avec ses "parcs"… Mention particulière pour Gide, le plus jardinier de tous, qui avait reçu tout jeune une formation de botaniste, et qui, tout nomade qu’il fut, aima passionnément les jardins, le Luxembourg de son enfance, La Roque et Cuverville, ses maisons de famille, ou encore Les Audides d’Elisabeth Van Rysselberghe, à Cabris, que leur fille Catherine conserva jusqu’à sa mort, en 2013. Les jardins, dans les livres de Gide, jouent un rôle majeur, comme dans La porte étroite, ou symbolique, comme dans Paludes ou Les nourritures terrestres. Plus décalés, les chapitres consacrés à Sartre et Simone de Beauvoir, deux intellos, lui, phobique de la nature, elle un peu plus réceptive à cause de son Limousin d’origine, ou à Modiano, "le plus citadin des romanciers".

Il faudrait un jour, si ce n’est déjà fait, consacrer une thèse au jardin du Luxembourg dans la littérature française. Mais ce n’est pas Evelyne Bloch-Dano qui s’y collera. Elle préfère cultiver son jardin et parcourir les chemins buissonniers de la littérature. Elle y excelle. Jean-Claude Perrier

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