À l'heure du papier rare, changer une qualité pour une autre relève autant du choix que de la contrainte pour les éditeurs. Prendre le papier là où il est. Grands groupes comme petits indépendants, tous les éditeurs peinent à se procurer leur principale matière première. Dès lors, troquer son papier habituel pour une qualité différente, mais disponible, devient courant. « Des ajustements de caractéristiques de papier peuvent être décidés pour être en mesure de substituer un papier en rupture par un autre qui peut être approvisionné  », indique-t-on chez Hachette Livre.

30 % à 50 % du prix de fabrication

Si les éditeurs changent de papier pour remplacer une qualité momentanément en rupture, ils le font aussi pour des motifs économiques. Hors coûts prépresse (maquette, photogravure...), le papier représente 30 % à 50 % du prix total de fabrication d'un livre, en fonction de la pagination, du format et du façonnage. « Mais avec un prix du papier qui a explosé en un an, nous dépassons maintenant très souvent les 50 % », précise Séverin Cassan, directeur général délégué du groupe La Martinière. « Ces augmentations sont vraiment inédites dans notre expérience de l'achat du papier. Il est difficile de ce fait d'anticiper les impacts budgétaires sur le long terme », note Hélène Hoch, directrice de la rédaction civil/pénal et ouvrages chez Lefebvre Dalloz. Pour le leader de l'édition juridique, la crise a occasionné « très marginalement » des changements de papier pour certains ouvrages.

Quand ils le peuvent, les éditeurs anticipent sur la production. AC Media s'est constitué un stock tampon suffisant pour 50 000 exemplaires chez chacun de ses prestataires imprimeurs. « Nous le faisons pour être capables de réimprimer en urgence », confie Marine Barreyre, chef de fabrication. La problématique est commune à tous les acteurs. Quand le papier manque, des ordres de passage sont établis. Folio accorde par exemple la priorité aux nouveautés, n'hésitant pas pour cela à « lisser » sur plusieurs mois les réimpressions de titres du fonds. « Nous tolérons plus facilement des ruptures dans les réimpressions de faible tirage, confirme Sophie Kucoyanis, chez Folio essais. L'essentiel est que les livres soient in fine disponibles et correctement imprimés. » 

Différences d'épaisseur

Les petits et moyens éditeurs sont plus exposés car ils n'achètent pas eux-mêmes leur papier, tâche dont s'occupent leurs imprimeurs. Il arrive alors que le papier souhaité fasse purement et simplement défaut. Chez Nouveau Monde, le P-DG Yannick Dehée confirme devoir composer avec les possibilités des imprimeurs : « Je ne peux pas toujours avoir le même papier pour les réimpressions. Cela peut générer de légères différences d'épaisseur, mais ce n'est pas un frein quand on a besoin de réassortir en urgence un titre que le public réclame. » Parfois, le changement de papier intervient au beau milieu d'un tirage : l'éditeur d'imaginaire ActuSF a vécu la mésaventure pour l'un de ses titres. « Nous avons eu une certaine qualité de papier pour les 700 premiers exemplaires et une autre pour le reste », confirme Jérôme Vincent, le directeur. 

Quand ils le peuvent, les éditeurs jouent la carte de l'économie. Pour certains titres, notamment lors des réimpressions en petits tirages, Bruno Doucey a opté pour du papier « sensiblement moins cher ». « Ces économies nous permettent de maintenir notre niveau d'exigence sur des titres qui nécessitent un papier de grande qualité, tels les beaux livres ou les anthologies », détaille-t-il. Mais changer de papier n'est pas si simple : les quotas mis en place par les papetiers valent non seulement sur les quantités, mais aussi sur les qualités. « Tant qu'un papetier nous impose un quota sur telle catégorie de papier, nous sommes tenus de l'utiliser et nous ne pouvons pas en commander une autre », rappelle Emmanuel Melki, directeur commercial chez Aubin Imprimeur.

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