Le ravissement de Léonie. Posons cela en postulat de départ : Léonie, c'est elle. Libre variation autour de la vie de Léonie d'Aunet, qui fut (parmi d'autres, il est vrai) l'un des grands amours de Victor Hugo, La femme domino, le nouveau livre de l'autrice bordelaise Sophie Poirier, est peut-être d'abord le récit d'un ravissement, au double sens du terme. C'est assez classique en ces matières-là, l'une va chercher l'autre et s'en revient avec un texte et elle-même.

Mais revenons à notre héroïne. Léonie d'Aunet, donc. 1820-1879. Une vie vécue comme un brouillon. D'abord la lumière, fugace, puis le long corridor de l'oubli. Elle n'a pas 20 ans lorsqu'elle convainc son mari, le peintre François-Auguste Biard, de l'accompagner pour une expédition scientifique au Spitzberg. La voici petite fiancée des pôles, passagère plus ou moins clandestine vers l'aube du monde. Ce n'est pas de son âge ni de son genre. Qu'importe. Le récit de son voyage la propulse parmi les curiosités parisiennes. Ce qui n'échappe pas à Victor Hugo, jamais en retard d'une passion possible. C'est son destin, ce sera sa « faute ». Elle a 25 ans quand elle est surprise avec le poète, dans un hôtel, en flagrant délit d'adultère. En ce temps-là, il est des libertés, et d'abord celles du désir, que l'on n'accordait guère aux femmes. Pair de France, Hugo échappe aux poursuites. Léonie n'aura pas cette chance. Ce sera la prison et ensuite, le couvent. L'écriture, autant que le silence, sera son refuge ultime. Une lente disparition. Sophie Poirier, dont le précédent et magistral récit Le signal (Inculte, 2022) prouvait qu'elle s'accommode mal des choses qui s'effacent, vient l'en sortir. Avec délicatesse, portée par une langue juste qui n'oublie jamais d'où elle parle (d'un territoire commun de mélancolie et de résistance, sans doute), elle pose ses pas là où Léonie l'a précédée. Jusqu'au Grand Nord, jusque là où le voyage est aussi une disparition. Il faut à cela, à cette sorte d'autofiction complice, beaucoup de caractère et pas mal d'humour également. L'autrice n'en manque certes pas. Léonie, c'est elle, disions-nous. Elle qui ne se laisse pas faire.