Propriété intellectuelle

Street Art et droit d'auteur (2/2)

Street Art et droit d'auteur (2/2)

De multiples cadres légaux protègent et contraignent les artistes de rue. Le droit autour de leurs oeuvres, et donc leur exploitation, est à la fois complexe et très classique.

Suite de l'article du 18 septembre
 
Les difficultés à reproduire les œuvres de Street Art permettent de mieux cerner le statut des œuvres d’art plastique et graphique. Ainsi, les articles L. 121.1 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle définissent les prérogatives morales du droit d’auteur. Pour mémoire, le droit moral de l’auteur contient quatre prérogatives que sont : le droit de divulgation, le droit de paternité, le droit au respect de l’intégrité et le droit de retrait et de repentir. 

Concernant la protection du droit moral des auteurs d’œuvres de street art, nous pouvons d’ores et déjà exclure le droit de retrait et de repentir qui n’est pas applicable.

A propos du droit de divulgation, qui permet à l’auteur d’être le seul à décider de dévoiler son œuvre et d’en permettre ainsi l’exploitation, celui-ci semble remis en cause. En effet, l’œuvre de street art se trouve dans l’espace public dès sa création donc a priori l’artiste ne peut s’opposer à l’exploitation de l’œuvre une fois qu’elle a intégré la sphère publique. 

Le respect du droit de paternité de l’auteur implique que toute reproduction ou représentation d’une œuvre doit mentionner le nom de son auteur afin de permettre au public d’identifier précisément l’œuvre et son auteur. Or, nous l’avons vu, l’une des particularités du street art est d’être parfois le fait d’auteurs anonymes ou qui signent avec un pseudonyme. Ces œuvres de street art pourraient donc se voir appliquer le régime de protection des œuvres anonymes et pseudonymes prévu par l’article L113.6 le Code de la Propriété Intellectuelle. Ce régime n’a pas d’incidence particulière sur les droits moraux, mais uniquement sur les droits patrimoniaux, comme nous le verrons ci-après.

Par ailleurs, l’intégrité de l’œuvre doit être respectée. Ceci implique qu’un auteur peut s’opposer, en vertu de son droit moral, à toute modification ou altération de son œuvre, et a fortiori à sa destruction. La propriété du support n’affecte a priori pas l’exercice des droits d’auteur de l’artiste.
Toutefois, le respect de l’intégrité de l’œuvre peut se trouver limitée en raison de la nature de l’œuvre et des conditions dans lesquelles celle-ci est présentée au public. En effet, le droit moral de l’auteur à voir son œuvre conservée en bon état et sans dénaturation doit se combiner avec le droit de propriété qui veut que le propriétaire puisse jouir de son bien selon son bon vouloir. Nous développerons en troisième partie cette problématique relative au conflit entre les droits du propriétaire du support et le droit d’auteur.

Attardons-nous à présent aux droits patrimoniaux octroyés à l’auteur d’une œuvre d’art urbain.

Au titre des droits patrimoniaux, l’auteur dispose d’un droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction de son œuvre. La reproduction consiste selon l’article L. 122.3 du Code de la Propriété Intellectuelle en « la fixation matérielle de l'œuvre par tous procédés qui permettent de la communiquer au public d'une manière indirecte ». Dans le cas des œuvres de street art, cela signifie que l’autorisation doit être préalablement octroyée par l’auteur pour reproduire son œuvre que cela soit à des fins commerciales ou non commerciales. 

L’auteur d’une œuvre dispose également d’un droit de représentation qui consiste selon l’article L. 122.2 du Code de la Propriété Intellectuelle en « la communication de l’œuvre au public par un procédé quelconque ». Ces procédés concernent notamment la télédiffusion qui se définie selon le même code par « tout procédé de télécommunication de sons, d'images, de documents, de données et de messages de toute nature. »

Dans le cas du street art, ce droit de représentation court un important risque de ne pas être respecté dans la mesure où les œuvres sont en contact direct avec le public. Chacun est alors tenté de prendre l’œuvre en photo et de la diffuser notamment sur internet. Or, en principe une autorisation préalable doit être accordée par l’auteur afin de ne pas bafouer ses droits et risquer d’être poursuivi pour contrefaçon. 

Toutefois, ces prérogatives accordées à l’auteur peuvent être limitées par les exceptions au droit d’auteur qui pour certaines sont susceptibles de s’appliquer aux œuvres de street art.

Les auteurs d’œuvres de street art, à l’instar des autres auteurs, souhaitent bénéficier d’une protection au titre du droit d’auteur. Notons que cette protection est de 70 ans post-mortem auctoris (après la mort de l’auteur) selon l’article L. 123-1 du Code de la Propriété Intellectuelle. 
Toutefois, selon l’article L. 123-3 du même code, pour les œuvres pseudonymes ou anonymes, comme certaines œuvres de street art, le point de départ des 70 ans est différent. En effet, il court à compter du 1er janvier de l’année civile suivant la publication de l’œuvre.

JR, Banksy, Space Invader, Miss Tic...

Les auteurs d’œuvres de street art, également en raison de leur notoriété grandissante, vont être de plus en plus enclins à réclamer une protection au titre du droit d’auteur et ainsi à saisir la justice pour faire valoir leurs droits. Pour la défense de leurs droits, ils peuvent faire appel à l’ADAGP, société française de perception et de répartition des droits d’auteur dans le domaine des arts graphiques et plastiques. 

Celle-ci a pour objectif de faire valoir et de protéger les droits des artistes, et de leur reverser les redevances perçues au titre du droit d’auteur. Selon le directeur juridique de l’ADAGP, Thierry Maillard, la société représente plus de 750 artistes d’art urbain, dont 600 d’entre eux auraient adhéré entre 2004 et 2018, on constate donc une évolution considérable du street art. Parmi les adhérents on retrouve des figures désormais mondialement connues de l’art urbain, comme JR, Banksy ou Space Invader, mais encore JonOne, Miss Tic, ou M. Chat. L’ADAGP va ainsi gérer pour l’artiste, d’une part, les droits de reproduction, de représentation, de suite, et, d’autre part, la rémunération pour copie privée, pour reprographie et due au titre du prêt en bibliothèque.

Il est intéressant de noter que dans le cas de Banksy, l’ADAGP ne gère que son droit de suite et pas les autres attributs patrimoniaux dont il jouit. Ceci s’explique très certainement par le fait que les œuvres de l’artiste ne sont plus étrangères aux maisons de ventes comme on l’a vu pour son œuvre « Girl with balloon ».

Les droits accordés aux œuvres de street art conduisent à s’interroger sur les exceptions prévues par le droit d’auteur qui pourraient s’appliquer.

Enfin, le droit d’auteur créé un monopole d’exploitation mais il existe des exceptions qui ont pour objectif de permettre l’usage libre d’œuvres protégées. La liste de ces exceptions est prévue par l’article L. 122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle.

Parmi ces exceptions au droit d’auteur, l’exception de panorama consacrée récemment par la loi du 7 octobre 2016, pourrait s’appliquer aux œuvres de street art. Celle-ci est prévue par l’article L. 122-5 11° CPI qui énonce que : l’auteur ne peut interdire « Les reproductions et représentations d'œuvres architecturales et de sculptures, placées en permanence sur la voie publique, réalisées par des personnes physiques, à l'exclusion de tout usage à caractère commercial ».

Cette exception est limitée aux reproductions et représentations réalisées par des particuliers et concerne uniquement les œuvres placées en permanence sur la voie publique.  Elle permet de reproduire, notamment par des photographies ou des vidéos, ces œuvres sans avoir à demander d’autorisation ou à s’acquitter de droits. L’article souligne par ailleurs que l’utilisation de ces œuvres doit se faire à des fins non lucratives.  

Néanmoins, cette exception n’aurait pas vocation à s’appliquer aux œuvres de street artcar celle- ci ne vise pas les œuvres graphiques mais uniquement les œuvres architecturales et sculpturales. Cependant l’exception de panorama semble intéresser les street artistes. A ce titre, l’artiste C215 qui, dans un entretien réalisé avec l’ADAGP, réclame une application de l’exception de panorama pour les œuvres de street art. Nous pourrions ainsi imaginer une application de cette exception aux œuvres de street art dans la mesure où celles-ci sont parfois représentées sur des œuvres architecturales et plus largement sur les bâtiments de l’espace public urbain. 

Dans le cas où l’exception de panorama, spécifiquement réservée aux œuvres architecturales et sculpturales, ne pourrait s’appliquer aux œuvres de street art, l’exception accessoire pourrait prendre le relais.

Cette exception s’illustre par l’affaire de la Place des Terreaux à Lyon réaménagée par Daniel Buren et Christian Drevet. Dans cet arrêt du 15 mars 2005, la Cour de cassation constate que les photographies représentaient à titre principal l’ensemble de la Place des Terreaux. Par conséquent, les sculptures des deux auteurs n’en étaient que l’accessoire et ces derniers ne pouvaient se prévaloir d’une atteinte à leur droit patrimonial pour la reproduction de cartes postales. 

L’idée de cette exception est de supprimer le conflit éventuel qui pourrait opposer l’auteur de l’œuvre de street art et l’auteur de l’œuvre photographique. Dans le domaine du street art, on ne relève pas de jurisprudence en France évoquant un conflit de la sorte. 

En revanche, aux États-Unis, un arrêt rendu par la Cour fédérale de New York nous donne une idée du sens que pourrait suivre les juridictions françaises. L’artiste d’art urbain Jason Williams qui exerce sous le pseudonyme de Revok, a porté plainte en 2018 contre la marque d’habillement H&M qui avait réalisé sa campagne publicitaire devant l’une de ses œuvres, et ce, sans lui avoir demandé d’autorisation. L’avocat de l’artiste a qualifié d’œuvre originale le graffiti réalisé par Revok et a affirmé que « l'utilisation non autorisée de l'œuvre originale de Jason Williams, et la façon dont l'œuvre est utilisée, lui porte préjudice, et va sans doute laisser penser aux consommateurs qui connaissent son art qu'il y a désormais un lien entre les deux parties ».

La propriété du support matériel est indépendante de celle réservée à l’auteur

La marque H&M a répliqué en précisant que l’artiste avait réalisé cette œuvre de façon illégale et, par conséquent, ne pouvait bénéficier de la protection du droit d’auteur. Finalement, les deux parties ont trouvé un terrain d’entente puisque la marque H&M a versé une contribution à différentes institutions artistiques de la ville de Détroit, où a vécu Revok.

L’exception d’information ou d’actualité est également une exception susceptible de s’appliquer aux œuvres de street art. Celle-ci est prévue par L. 122-5 9° du Code de la Propriété Intellectuelle et prévoit que l’autorisation de l’auteur n’est pas nécessaire dans le cas d’une diffusion par voie de presse écrite, audiovisuelle ou en ligne, dans une but d’information immédiate, en lien avec l’œuvre. L’exception vise les œuvres d’art graphique, plastique ou architecturale. 

Une œuvre de street art pourrait à ce titre être librement diffusée dans un contexte justifiant l’immédiateté de l’information, sans porter atteinte aux droits patrimoniaux de l’auteur. Il convient toutefois de préciser le nom de l’auteur de façon claire, afin de respecter le droit de paternité. 

La protection du street art au titre du droit d’auteur conduit à conjuguer ce droit avec l’application de différents droits tels que le droit civil et le droit pénal mais également avec les protections qui s’appliquent déjà à d’autres œuvres.

Le droit de propriété est un des droits les plus précieux de l’homme et est protégé par l’article 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.  L’article 544 du Code Civil définit ce droit comme « {..} le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. » Ce droit absolu se trouve néanmoins affaibli par le droit d’auteur comme l’illustre l’article L. 111-3 du Code de la Propriété Intellectuelle. L’article dispose en son premier alinéa que « La propriété incorporelle définie par l’article L. 111-1 est indépendante de la propriété de l’objet matériel ». 

Cet article pose un principe fondamental en matière de propriété intellectuelle selon lequel la propriété du support matériel est indépendante de celle réservée à l’auteur. Le propriétaire peut donc exercer ses droits sur son bien en vertu de l’article 544 du Code Civil. Néanmoins, ce droit de propriété doit s’exercer dans le respect du droit d’auteur. 

Aussi, cette coexistence des droits de l’auteur de l’œuvre et du propriétaire du support matériel est parfois source de conflits et peut donner lieu à des situations juridiques paradoxales. Il convient de distinguer deux hypothèses : l‘apposition et la destruction d’une œuvre de street art.
Afin de respecter le droit de propriété, le street artiste doit demander l’autorisation au propriétaire du support matériel. Cette autorisation doit être préalable à toute création sur un bien meuble ou immeuble ne lui appartenant pas. Par conséquent, si l’artiste réalise son œuvre sans autorisation, le propriétaire peut la retirer s’il le souhaite sans que cela ne porte atteinte aux droits de l’artiste.

A titre d’exemple, en février 2013, une œuvre de Banksy intitulée Slave Labour a été découpée du mur de Haringey, un quartier nord de Londres, sur lequel elle avait été peinte. Le morceau de mur a été mis en vente quelques jours plus tard par une galerie de Miami, au prix de 500 000$. De son côté, la galerie américaine, en qualité de vendeur, affirmait que l’œuvre en question a été acquise par un collectionneur directement auprès du propriétaire du mur, de sorte qu’il en était le légitime détenteur. Sans autorisation octroyée à l’artiste de street art, le propriétaire du support matériel de l’œuvre demeure libre de disposer de son mur. La vente aux enchères publiques a toutefois été annulée quelques jours plus tard à la demande du vendeur. 

Si l’œuvre de street art remplit la condition d’originalité, elle bénéficie ainsi de la protection par le droit d’auteur. L’effacement ou le retrait d’une telle création est donc soumis à l’autorisation préalable de l’auteur au risque de porter atteinte au respect de l’intégrité de son œuvre. 

Cela ne concerne plus l’édition de livres ou l’organisation d’expositions en médiathèque, mais reste capital pour comprendre à quel point ces oeuvres, et donc leur exploitation, est  à la fois complexe et très classique.
 
 
 
 
 

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