Skakepark pourrait être un polar. Il y a bien un crime dans le roman de Madeleine Monette mais il n’arrive qu’au deux tiers de l’histoire. Il y a aussi un enfant pendu par les pieds à la fenêtre d’un immeuble et un cambriolage. Cependant, l’intensité de l’histoire ne vient pas des scènes les plus spectaculaires, mais plutôt de la tension trouble construite autour du personnage principal, Arièle, une trentenaire habitant le quartier encore mixte d’une métropole nord-américaine fictive. Dotée d’une voix d’opéra, la jeune femme vit de cours de chant et de doublages. A quelques jours d’intervalle, deux hommes entrent dans sa vie de célibataire : un garçon de 13 ans dont elle a récupéré le sac à dos oublié dans une rame de métro et un cycliste qui la percute accidentellement. Ce dernier, Sydney, myope et gaucher, maquettiste et masseur, la séduit par sa sollicitude curieuse, la façon qu’il a de la surprendre, sans qu’elle sache ce qui nourrit vraiment la relation amoureuse qui s’installe.
Madeleine Monette, Montréalaise installée à New York depuis plus de trente ans et qui écrit en français, se tient au plus près de son héroïne à la personnalité vacillante, souffrant de vertiges inexpliqués et volontairement en retrait de toutes les scènes, qui vient épier aux abords d’un skatepark où évoluent des acrobates de la glisse, "l’enfant du métro", "le jeune Chalioux", aussi surnommé "Mioute" (pour mute, le muet). La romancière fouille les ressorts de la familiarité fascinée qu’Arièle éprouve pour la "tête de hérisson noir" du skater, "son air écœuré d’être en trop", sa poésie rappée. Dans cette histoire d’apprivoisement, le plus réussi est d’ailleurs le portrait plein d’attention de ces adolescents livrés à eux-mêmes dans la solitude urbaine, leur jeunesse sauvage et abîmée, leurs "corps sans trop d’histoires encore ni trop de mensonges". Véronique Rossignol