Librairie

Le 27 mars, Thomas Berrond a levé le voile sur la nouvelle Librairie des Bauges à Albertville (Savoie). Le changement est radical. Après six semaines de travaux, rien ne subsiste du "magasin aux allures de Prisunic des années 1970, où l’agencement de l’offre était incompréhensible". Il l’a racheté en août 2017. Vitrine, devanture, électricité, climatisation, peinture, sols, mobilier et éclairage, "tout a été cassé et repensé pour donner une nouvelle âme et une identité visuelle à la librairie", explique Thomas Berrond, qui s’est offert les services de l’architecte Pierre-Yves Gimenez. La redistribution des rayons a également été revue, et en particulier la papeterie, rationalisée afin notamment de redéployer les rayons jeunesse, bande dessinée et manga, des secteurs "à fort potentiel mais jusque-là sous-exploités. Globalement, en surface, nous avons dû perdre un peu puisque nous avons créé une réserve. Mais avec les nouveaux linéaires, nous avons gagné 20 % en présentation", se félicite le libraire.

Ces travaux d’ampleur, Thomas Berrond les porte depuis novembre 2016. A cette époque, il a quitté Sans frontières, une agence de voyage pour les 12-25 ans qu’il dirige depuis deux ans et pour laquelle il est revenu à Albertville après quatorze années passées à enseigner les sciences. En quête d’une nouvelle orientation professionnelle, il rencontre, "presque par hasard", Kurt Nagel qui cherche à vendre ses parts dans la Librairie des Bauges. Un magasin que Thomas Berrond n’a visité qu’une fois depuis son retour dans la ville. "J’y ai dépensé 150 euros, mais l’expérience a été tellement mauvaise que je n’y ai plus remis les pieds et que j’achetais mes livres en ligne", reconnaît le bouillonnant quadragénaire.

Toutes ses économies

Qu’est-ce qui pousse alors celui qui ne revendique pas une vocation et "ne lit pas plus que ça" à endosser, trois ans plus tard, le costume de libraire? "L’envie d’entreprendre et l’opportunité de m’impliquer dans la vie locale. La culture au sens large, et une librairie en particulier, a un rôle à jouer dans l’identité d’un territoire et la richesse du lien social", revendique Thomas Berrond, qui garde comme référence la librairie façonnée par ses parents à La Mure-d’Isère entre 2004 et 2012, La Gribouille. "Ils ont réussi à en faire un lieu chaleureux où les gens achetaient des livres mais prenaient aussi le temps de discuter et de partager."

Autre motivation de taille, la Librairie des Bauges risque la fermeture si aucun repreneur ne se présente. "Il est inconcevable de laisser aux mains de la Fnac ou de Decitre ce lieu mythique de la ville que tout le monde connaît et a fréquenté au moins une fois, mais où on va par défaut. Finalement, je n’avais rien à perdre", plaide le libraire, qui jette tout de même dans l’aventure toutes ses économies, 40 000 euros.

Après une formation à l’INFL, il débute donc comme stagiaire en février 2017. "J’avais besoin de ce temps pour comprendre comment cette entreprise fonctionnait. Pour en vivre l’intimité et saisir pourquoi elle se retrouvait avec une trésorerie en déficit de 200 000 euros, pourquoi les vendeurs ne levaient pas la tête de leurs rayons, pourquoi rien ne fonctionnait." Ce temps d’imprégnation lui permet aussi de mesurer le fort attachement des Albertvillois à cette librairie qu’ils appellent encore Garin, du nom de ses fondateurs, et leur volonté de consommer local. Une fidélité sur laquelle il s’appuie pour bâtir sa stratégie de reconstruction.

Le service et la qualité

Si les travaux constituent le point d’orgue de cette nouvelle dynamique, et la partie la plus visible, ils ne sont en fait que le second étage de la fusée. Dès la reprise, Thomas Berrond remet à plat les achats et s’attelle à supprimer toutes les grilles d’office automatique qui engendrent un taux de retour au-delà de 40%. Il fait également le ménage dans les frais généraux, qui pèsent trop lourd dans les comptes de la librairie. Il développe la papeterie auprès des professionnels, un segment de clientèle laissé jusque-là de côté et auquel il aimerait consacrer un poste à mi-temps. Mais son premier chantier, et sa priorité des priorités, reste l’accueil. Persuadé que "les gens sont foncièrement gentils et que, sur du long terme, donner pour recevoir, cela paie", il a consacré un mois entier "à ne faire que cela, réintroduire de la gentillesse et de la politesse". Appuyé par deux nouveaux libraires, Chris Cambin et Caroline Faye, tous deux issus de Decitre à Chambéry, ce premier objectif est en passe d’être atteint.

Candide, Thomas Berrond? "Se démener sur le service et la qualité, donner envie aux gens et leur faire vivre une expérience extraordinaire, même lorsqu’ils achètent, cela constitue la seule porte de sortie de la librairie indépendante, martèle le libraire. Et il n’est pas trop tard : nous disposons encore d’un sursis pour changer les choses et apporter cette plus-value qui nous permettra d’aller plus loin que le bout de papier que l’on trouve sur Amazon." Porté par "l’envie d’être une cheville ouvrière de ce mouvement", Thomas Berrond ouvrira le 4 mai un espace "alternatif, creuset de toutes les expériences". Installé dans un entrepôt attenant à la librairie, qui a abrité une boutique éphémère durant les travaux, le lieu accueillera rencontres, café philo, ateliers de loisirs créatifs ou d’écriture, soirée VIP, concerts ou projections, avec pour ambition d’apporter ce supplément d’âme et de vie et d’en faire "l’endroit incontournable de la culture et des rencontres dans le bassin albertvillois. Finalement, il ne s’agit que de biais pour donner envie aux gens de rentrer dans la librairie et de nous acheter des livres. Nous sommes là pour gagner des sous et je n’en ai pas honte", rappelle, avec une pointe de malice, Thomas Berrond, qui ne perd jamais de vue que la librairie reste avant tout un commerce.

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