avant-portrait > Rémi Bordes

Je ne savais de quel costume j’aurais dû me draper à présent. Je n’étais plus vraiment un Occidental, c’était certain ; un peu népalais, un peu indien, un peu persan ; surtout, je m’étais défait de beaucoup d’oripeaux superflus", écrit Rémi Bordes. La scène se passe à Katmandou, en 1998, peu avant le retour en France du jeune ethno-anthropologue alors âgé de 24 ans, à la suite d’un séjour de plusieurs mois dans un village de l’extrême ouest du Népal, à plus de 500 kilomètres de la capitale, chez les Khas. Cette ethnie appartient à la caste des Olis, des "sous-brahmanes" qui n’exercent aucune charge sacerdotale. "Le Népal, rappelle l’ethno-anthropologue, contrairement à ce qu’on pourrait penser àcause du Tibet voisin, bouddhiste, est terre majoritairement hindoue." L’étranger, même invité à vivre à la maison, à faire partie de la famille, en "immersion intensive", demeure toujours un mlecha, un "barbare", parce qu’il n’est pas hindou, qu’il mange de la viande et qu’il a traversé les océans.

Cette expérience, Rémi Bordes en avait rêvé. Alors, après avoir commencé ses études d’anthropologie générale à Bordeaux, il a décidé de tailler la route dans la grande tradition des hippies des 70’s. De suivre "les chemins de Katmandou" via la Turquie, l’Iran, l’Afghanistan, l’Inde. Par des moyens de fortune, en bus, en prenant son temps, sans connaître la langue ni savoir où il allait débarquer. En l’occurrence près de Dipayal, non loin de la frontière avec l’Inde, dans une région difficile d’accès, en marge du monde "moderne".

Prendre la tangente

Plutôt que d’observer les commandements occidentaux, "travailler, consommer, se divertir", véritable "laminage spirituel de l’humanité", il a choisi la tangente, la découverte du "Divers", ce qui lui semble la mission même de l’anthropologie. Aller sur le terrain, "mouiller sa chemise", dit-il, "collecter des données, analyser les matériaux et réfléchir sur l’homme". Une tradition qui remonte à loin, Montaigne par exemple, dont Rémi Bordes a placé une citation en exergue de son livre, Le chemin des humbles. "J’essaie de perpétuer ce qu’était "l’honnête homme" d’hier, explique-t-il, de façon pluridisciplinaire, avec un vrai plaisir du savoir, et sans spécialisation à outrance."

De ce premier voyage fondamental, il a tiré un récit passionnant sur le plan ethnographique, et surtout très personnel. L’ethnologue est un sacré écrivain. Il a achevé son livre, "assemblage de petits bouts écrits sur le vif, en écoutant Mike Scott et ses Waterboys", en 2013, après être retourné plusieurs fois au Népal, avoir appris le népali ("un cousin du hindi"), fait profession de l’enseigner à l’Inalco, et même créé une ONG pour aider les villages, Réseau Chercheurs Népal. Il avait envoyé son manuscrit à une vingtaine d’éditeurs sans succès jusqu’à ce qu’il parvienne chez Plon, qui l’accueille dans sa mythique collection "Terre humaine". "Je suis ravi, flatté", dit Rémi Bordes. Il repartira, forcément, voir comment "son" village, ce "monde qui se craquelle" a évolué, et poursuivre sa quête personnelle de sens.

Jean-Claude Perrier

Le chemin des humbles de Rémi Bordes, Plon, "Terre Humaine". Prix : 21,90 €, 466 p. Sortie : 26 octobre. ISBN : 978-2-259-25980-4

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