Journaliste en ligne au Spiegel, Stephan Orth, 37 ans, est un globe-trotteur professionnel, qui aime à partager avec ses lecteurs ses expériences, avec humour, voire même insolence, et d’une façon très directe. On lui devait déjà un recueil d’anecdotes aéronautiques, Désolé, nous avons raté la piste !
Là, il se lance dans le récit de voyage, doublement original. Parmi tous les pays où il a bourlingué, il a choisi de raconter son voyage en Iran, en 2014, l’un des pays les plus fermés, les plus répressifs, les plus rigoristes en matière de mœurs, les plus policiers du monde. D’autant que c’était avant le dégel relatif et la fin partielle de l’embargo au pays des mollahs, dirigé d’une poigne de fer par l’ayatollah Ali Khamenei, dans la droite ligne du fondateur, le sinistre Khomeini, les deux pères fouettards de la nation iranienne - et les deux bêtes noires de Stephan Orth, qui n’en peut plus de voir leurs portraits partout. D’autre part, histoire de compliquer la donne, il a opté, en parfait geek, pour un mode de voyage contemporain et aventureux : le couchsurfing.
Le "coucher chez l’habitant", soit contacté au préalable sur Internet, soit directement sur place, par relation de relation, et interdit par le régime. Outre des conditions d’hébergement souvent acrobatiques et spartiates, ce système impose des déplacements et des horaires très aléatoires, au gré des hôtes et des lieux où ils vivent. Notre couchsurfer accepte donc de passer à côté de tel site magique, de tel haut lieu culturel ou ville remarquable - Persépolis, par exemple, dont il n’est pas question du tout, ou Shiraz et Ispahan, dont il n’a, semble-t-il, pas vu grand-chose - parce qu’il a reçu le SMS d’une fille qui lui promet qu’elle est prête à l’accueillir chez elle. Chez ses parents, plutôt, par terre sur un tapis, avec ses deux frères, ses huit cousins. Et il faut être parti à 9 h du matin !
Tout cela pour "rencontrer les habitants", nouer des relations, les faire raconter leur vécu, leur quotidien pas toujours drôle. Et, peut-être, faire la fête. Douces illusions. Car si la population de l’Iran compte 60 % de moins de 30 ans, et si l’on sait que cette jeunesse aspire à un mode de vie plus libre, plus moderne, plus "occidental", les ayatollahs et leurs chiens de garde veillent encore. En guise de sexe, drogue et rock’n’roll, Orth devra se contenter d’un "vrai-faux" mariage de dix jours avec une Irano-Allemande de Hambourg, de quelques bouffées de haschich, de bières frelatées, et d’un cours de guitare dans une école chic d’Ispahan.
Son livre est drôle, enlevé, pince-sans-rire, et les Iraniens sont adorables. Ça donne vraiment envie d’y aller. Sans forcément "couchsurfer". Jean-Claude Perrier