Toutes les vies mènent au polar

"L’avantage du succès quand on a 50 ans, c’est qu’on a construit sa vie et qu’on est au clair avec les valeurs qu’on a."Michel Bussi - Photo Philippe Matsas

Toutes les vies mènent au polar

Michel Bussi, Bernard Minier et Ian Manook, qui se sont imposés dans le carré de tête des meilleures ventes, ont eu une autre vie avant d’entrer en écriture. Portraits.

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Par Claude Combet,
Créé le 01.05.2015 à 04h04 ,
Mis à jour le 08.05.2015 à 19h00

Un géographe, un contrôleur des douanes et un globe-trotter polygraphe… Michel Bussi, Bernard Minier et Ian Manook ont quelques points communs dont un en particulier : ils sont venus au roman policier par des chemins détournés.

 

Michel Bussi,

 

 qui publie Manon a tort le 7 mai aux Presses de la Cité, collectionne les carnets de notes dans lesquels il griffonne depuis des années. Mais il a mené une carrière d’enseignant-chercheur en géographie politique et enseigne toujours à l’université de Rouen. Il écrit "la nuit, le week-end, l’été, dans le train. L’écriture est volée à la vie, volée au temps ordinaire. Je mène une double vie", constate-t-il.

 

"Je crois dans les vertus du travail, je tiens ça de mon père qui était meilleur ouvrier de France et qui était très perfectionniste et très exigeant."Bernard Minier- Photo BRUNO LEVY

Son premier roman, écrit à 30 ans, n’a jamais été publié. L’idée d’Un avion sans elle, son 6e roman paru en 2012, date d’il y a vingt ans. Code Lupin, son premier texte publié en 2006, est né d’une rencontre autour du personnage d’Arsène Lupin avec un éditeur régional, aujourd’hui les éditions des Falaises, qui a édité ses romans policiers "à forte connotation régionale", tout de suite récompensés par des prix nationaux.

"Je suis un vieux jeune auteur de 65 ans qui arrive avec un polar sur le pays mohgol."Ian Manook- Photo RICHARD DUMAS

"J’invente des histoires qui ne sont pas forcément policières mais avec du suspense, des jeux de miroirs, des faux-semblants. Ce sont plutôt des romans puzzles où tout prend sens à la fin. Je m’inscris dans la tradition du roman populaire, avec des histoires de famille, d’héritage, de vengeance", explique l’écrivain. A 50 ans, Michel Bussi a neuf livres à son actif, y compris son prochain, Manon a tort. Il passe dix-huit mois sur chacun d’eux, estimant faire "quelque chose de très artisanal" et "être seul sur le créneau du suspense non gore" qui plaît aux amateurs de romans policiers classiques, ceux dont l’intrigue est résolue à la fin. Ces derniers y retrouvent "une part d’enfance, un côté fleur bleue, une forme de mélancolie", qu’il insuffle notamment dans les titres évoquant ceux de chansons.

Si la publication et le succès relèvent d’un "rêve absolu", ils ne remettent pas en cause son statut social ni son quotidien, mais lui permettent de vivre les événements avec une certaine distance. Au point, dit-il, de préférer les couvertures de ses livres à son portrait en grand sur les affiches. "L’avantage du succès quand on a 50 ans, c’est qu’on a construit sa vie et qu’on est au clair avec les valeurs qu’on a", souligne ce père de trois enfants, fier cependant que le petit dernier, 6 ans, l’ait "toujours connu comme écrivain".

Bernard Minier, 54 ans, écrit, lui, depuis l’âge de 10 ans, où il imaginait des aventures pour Bob Morane et Bill Balantine. A 18 ans, il entasse des cartons pleins de ses écrits. A 20 ans, il veut être Thomas Bernhard. A 30, il continue d’écrire "loin du regard des autres". Surtout, pendant vingt-six ans, ce gros lecteur a été contrôleur des douanes avant de devenir écrivain. "Tous les matins, je prenais le RER pour le 9e arrondissement et l’église de la Trinité où se situaient l’administration des douanes et plein de librairies tentantes comme L’Œil écoute, la librairie du sous-sol des Galeries Lafayette, la Fnac Saint-Lazare. Quand les douanes ont déménagé à Montreuil, j’ai fréquenté Folies d’encre, et Millepages à Vincennes. J’avais le temps de lire", indique-t-il, avouant une prédilection pour la littérature anglaise, notamment Martin Amis et Hanif Kureishi.

Bernard Minier participe à tous les concours de nouvelles qui se présentent, auxquels il arrive toujours deuxième, derrière Jean-Pierre Schamber, spécialiste de Thierry Jonquet, qui l’a "poussé à aller jusqu’au bout" parce qu’il a cru en lui. Il envoie son manuscrit à plusieurs éditeurs et choisit XO parce que cette filiale d’Editis publie peu de livres et pousse chacun des auteurs. Après le succès de Glacé, il se met en disponibilité de l’administration des douanes. Depuis 2011, il se consacre ainsi à plein-temps à l’écriture, passant dix-huit mois sur chacun de ses livres.

L’écriture ? "A 50 ans, on a vécu une vie entière, avec un travail, des horaires. Je suis discipliné. Quand vient une idée, il faut la tester, si elle n’est pas bonne, en chercher une meilleure, ainsi de suite. Je crois dans les vertus du travail, je tiens ça de mon père qui était meilleur ouvrier de France et qui était très perfectionniste et très exigeant." Originaire de Toulouse, Bernard Minier en a fait le décor de ses romans bien qu’il habite la région parisienne depuis trente ans, parce qu'"on revient toujours à ses racines". Pour lui, "l’écriture est un jeu sérieux", qu’il "ne prend jamais à la légère" et pour lequel il ne veut jamais "céder à la facilité".

Depuis Glacé, il a écrit quatre autres polars, dont le dernier, Une putain d’histoire, est paru le 23 avril. "J’avais envie d’écrire un roman avec un narrateur adolescent", commente Bernard Minier. Désormais, il réfléchit au suivant, pour lequel il veut renouer avec ses personnages fétiches, Martin Servaz et son ennemi Julian Hirtmann.

Ian Manook, dont Les temps sauvages est paru en janvier chez Albin Michel, a "accumulé des textes pendant des années". "Mais le premier livre est issu d’un pari avec ma plus jeune fille partie il y a cinq ans pour Buenos Aires, raconte-t-il. Elle en avait assez de lire des textes qui n’étaient pas terminés. Je lui ai promis deux livres par an, dans un genre et sous un pseudonyme différent à chaque fois." Cependant, l’écrivain de 66 ans a "toute une vie" derrière lui. Originaire d’une famille ouvrière d’émigrés arméniens, il a fait de "belles études" et a eu "beaucoup de diplômes qui ne servent à rien". A 19 ans, en 1968, il s’embarque pour un long voyage de 27 mois qui le mène notamment de l’Islande et du Groenland jusqu’en Amérique latine, où il vit treize mois en Amazonie, en passant par l’Amérique du Nord. Avec un solide sens de l’humour, il raconte qu’il a souvent raté des occasions, comme cette fois où, voulant aller au festival de Woodstock, il quitte son job, passe trois jours et trois nuits à traverser les Etats-Unis pour se rendre en Californie, et apprend que Woodstock se situe sur la côte Est.

A son retour, Ian Manook travaille comme journaliste indépendant puis, pendant dix ans, pour un éditeur de magazines de télévision et de jeunesse. Il se retrouve "rédacteur en chef de Goldorak, Candy Candy, Albator, Capitaine Flam ". Au début des années 1980, il crée deux sociétés : la première, une boîte de communication spécialisée dans le voyage qui produit des catalogues pour les tour-opérateurs, qu’il dirige encore. La seconde, les éditions de Tournon, qu’il a revendue en 2009, reprenant les licences Wings, Tortues Ninja, et des magazines autour des séries télé.

C’est parce qu’il ne gère plus une équipe de 35 salariés et parce qu’il veut gagner son pari avec sa fille qu’il se remet à l’écriture. Deux livres paraissent en 2011, un essai, Le temps du voyage, sous son nom, Patrick Manoukian, et, sous le pseudonyme Paul Eyghar, un gros roman pour les jeunes, LesBertignac, lauréat du prix du premier roman 2012, chez Hugo & Cie. L’année suivante, il écrit un roman littéraire, qu’il retravaille en permanence (non publié à ce jour), et un polar, Yeruldelgger, publié en 2013 par Albin Michel. Il y imagine un commissaire mongol qui ravit les amateurs du genre et récolte de nombreux prix de lecteurs, dont le prix Quais du polar-20 minutes et le prix SNCF du polar 2014. Il écrit dans la foulée le deuxième volet de ce qui sera une trilogie.

Aujourd’hui, Ian Manook écrit toujours à l’agence au milieu de l’agitation, répondant aux questions de ses collaborateurs, un œil sur l’écran avec la maquette du prochain catalogue, l’autre sur un second écran avec le roman en cours. S’il ne se documente pas à outrance, il s’inspire de ses voyages, depuis celui de sa jeunesse en auto-stop autour du monde jusqu’aux derniers plus luxueux, comme à bord de l’Orient-Express. Il en a gardé une extrême curiosité, a emmagasiné des souvenirs : "J’ai une mémoire désastreuse au quotidien mais je suis imbattable sur les émotions", commente-t-il. Je suis un vieux jeune auteur de 65 ans qui arrive avec un polar sur le pays mohgol."

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