Commençons par une info triste mais assez consensuelle : Jyoti Basu vient de mourir. Qui ça ? C’était l’homme qui, de 1977 à 2000 — période au cours de laquelle j’ai effectué   durant deux ans ma coopération comme chargé du bureau du livre à Calcutta près le consulat de France — a gouverné le Bengale occidental. Quel rapport avec ce blog ? Le Bengale occidental est le seul état indien où paraissent chaque matin dix-sept quotidiens en sept langues ; où la foire du livre accueille deux millions de visiteurs payants (vive la Porte de Versailles et son triomphalisme sous forme de communiqué prérédigé !) ; où le quartier des libraires bouillonne ; où le café le plus trendy («  khub balo ») regorge à toute heure de traducteurs, poètes, libraires bibliothécaires et éditeurs ; où Taslima Nasreen a trouvé un temps refuge depuis le Bangladesh voisin (après la publication de lajja , La Honte ). Bref, un état où l’analphabétisme est réduit à peau de chagrin et l’éducation des femmes érigée en combat politique de premier plan : où réciter Tagore, regarder Satyajit Ray, écouter Ravi Shankar (les trois modestes gloires locales…) est quasi-obligatoire.       *      * *   Moins réjouissante, la nouvelle tombée sur le fil de l’AFP le 11 février, annonçant que l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts avait « décroché l'oeuvre jugée trop politique d'une artiste chinoise ». En clair, l'École a enlevé de sa façade du quai Malaquais, au bout de quelques heures seulement d’accrochage, l'oeuvre d'une artiste chinoise   détournant le slogan de Nicolas Sarkozy «  Travailler plus pour gagner plus  »,   estimant que cela pouvait porter «  atteinte à la neutralité du service public  ». La jeune artiste, Ko Siu Lan, a alerté les médias, dénonçant une «  censure  ». Dans un communiqué pitoyable, l'Ecole des beaux-arts a déclaré que l'artiste avait accroché son oeuvre à l'extérieur «  sans que la direction de l'établissement en soit informée  ». «  Sans titre, sans nom d'auteur, sans mention relative à l'exposition, le caractère de l'oeuvre se réfère explicitement à un contexte politique. Son auteur a souhaité, par la présentation sur la voie publique, utiliser spectaculairement comme médiation de son message un bâtiment de l'État voué à l'enseignement  », poursuivait le communiqué. La direction de l'Ecole a donc considéré que «  cette présentation non concertée de l'oeuvre, sans explicitation à l'attention du public, pouvait constituer une atteinte à la neutralité du service public et instrumentaliser l'établissement  ». Depuis lors, l’œuvre a repris sa place, à la suite de la demande expresse du ministre de la Culture. Le hic ? Au-delà de cet acte de censure manifeste et grotesque, Henry-Claude Cousseau, l’actuel patron des Beaux-Arts, doit bientôt comparaître dans un procès où il entend… se poser en victime de la censure ! Rappelons les faits : en 2000, alors qu’il est encore directeur du CAPC (musée d’art contemporain) de Bordeaux, une exposition prestigieuse rassemble, autour du thème de l’enfance, les œuvres de quelques-uns des plus grands artistes contemporains de la planète : Louise Bourgeois, Robert Mapplethorpe, Nan Goldin, Cyndi Sherman, etc. Intitulée « Présumés innocents » l’exposition sera attaquée pour « pédophilie » par une ligue de vertu, soutenue dans son action par le zèle d’un juge d’instruction (pour le coup très bordelais). Après neuf ans de procédure, un tribunal devra donc se pencher, dans les semaines qui viennent, sur l’éventuel «  message à caractère pornographique  » véhiculé notamment par le catalogue de l’exposition, vendu à la librairie du Musée, mais aussi chez ces dangereux libraires de qualité que sont Mollat et La Mauvaise réputation. Henry-Claude Cousseau ne siégera pas seul au banc des prévenus. Il comparaîtra aux côtés de Marie-Laure Bernadac et Stéphanie Moisdon, les commissaires de l’exposition incriminée (et que j’aurai l’honneur de défendre toutes deux). On a connu pire, comme dossier à plaider. D’autant qu’après l’acte de bravoure de Ko Siu Lan aux Beaux-Arts, je compte sur mes deux dames   pour donner de la voix. Jyoti Basu en était convaincu bien avant moi : il faut toujours faire confiance aux femmes. Surtout quand il s’agit de sauver la culture libre et indépendante !  

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