Peu médiatisé, volumineux, parfois onéreux, nécessitant de l’espace pour être mis en valeur : qu’il soit d’art ou plus généraliste, le beau livre représente un segment à risque pour les librairies. Or, comme l’explique Matthieu de Waresquiel, directeur général de Citadelles & Mazenod, "la bonne marche de notre activité dépend majoritairement de nos rapports privilégiés avec les librairies qui font le pari, dans un contexte économique pourtant difficile pour elles, de défendre notre production par tous les moyens". Pour réussir à maintenir un rayon de référence, quelques principes se dégagent.
Faire vivre les ouvrages
Chez Diane de Selliers, on a conscience d’une réalité : "Pour vendre nos ouvrages, on ne peut pas se contenter, comme avec d’autres formats, de les ranger dans des bibliothèques ou de les aligner en piles sur des tables, d’autant que leur taille ne le permet pas toujours." La principale problématique du beau livre repose en effet sur la nécessité de le mettre en lumière pour qu’il trouve son public. Au-delà des signatures et des rencontres, la tendance est de plus en plus à l’exposition. Ainsi, pour magnifier le nouveau titre de Diane de Selliers, La Bhagavadgita, la librairie Atout Livre (Paris 12e) lui consacrera en décembre une vitrine, mais aussi une exposition de reproductions de l’ouvrage. "Le but est de mettre en valeur son travail, mais il y a très clairement une visée commerciale avant Noël ; ce sont de très beaux livres, coûteux, il y a un enjeu économique important", explique Valérie Jouanne, responsable du rayon. Inaugurée il y a quelques années, cette mise en avant a déjà prouvé son efficacité. "L’année dernière, à la même période, nous avions organisé ce type de dispositif pour le Nicolas de Staël chez Citadelles & Mazenod, et les ventes étaient au rendez-vous." D’autant, comme le souligne la libraire, que ces coups de projecteur "rebondissent" sur tous les ouvrages qui gravitent autour du thème présenté.
Exploiter le fonds
"Même si les ouvrages en lien avec l’actualité sont ceux qui se vendent le plus facilement, un rayon beaux livres, ce n’est pas que des nouveautés ; c’est aussi un fonds qu’on s’emploie à faire vivre toute l’année", explique Paul Emmanuel Roger, de la librairie Mollat (Bordeaux). Le libraire s’emploie à raccrocher des titres anciens à des expositions en cours mais aussi à créer lui-même l’événement. Soit en mettant en lumière l’étendue du travail d’un éditeur en particulier - "je collabore régulièrement avec Textuel ou Phaidon" -, soit en imaginant des thématiques. "En été, je remets en avant des ouvrages auxquels je crois en fabriquant, par exemple, des mises en scène esthétiques autour d’un peintre : et ça fonctionne ! Le public est curieux, il faut le stimuler." A Nice, Jean-Marie Aubert met aussi un point d’honneur à travailler le fonds de beaux livres que propose la librairie Masséna en "maintenant un rayon très riche tout au long de l’année, sans "déstocker" en janvier". L’ancien gérant de la librairie du Louvre, constatant que, hors actualité, le choix d’ouvrages proposés chez ses collègues et "même à la Fnac" ne cesse de s’appauvrir, en a même fait une stratégie. "C’est très frustrant d’avoir des demandes auxquelles on ne peut pas répondre. On perd des clients potentiels qui sont de passage. La richesse de mon fonds est un investissement, mais c’est aussi ce qui me permet d’effectuer pas mal de ventes."
Oser
Dans la vitrine de la librairie Lardanchet (Paris 8e), spécialisée dans les beaux-arts et les livres anciens, les ouvrages phares du moment cohabitent harmonieusement avec des nouveautés plus confidentielles. "Comme tout le monde, nous proposons des titres portés par l’actualité culturelle mais, pour se différencier, il faut aussi oser présenter des projets plus rares", explique Thierry Meaudre, le gérant des lieux. Le libraire a fait le choix, avec sa collaboratrice Sarah Valiant, de lancer il y a deux ans dans sa boutique, pourtant résolument tournée vers les arts classiques, un rayon "culture urbaine". "C’est un risque, mais cela participe de notre vocation, il faut s’adapter et oser présenter des choses que notre clientèle n’attend pas forcément." Jean-Marie Aubert, lui, a fait le pari de vendre dans sa librairie des livres autoédités par des artistes loin de l’amateurisme. "En ce moment, j’ai par exemple en rayon le travail d’un photographe, Kares Le Roy, qui a effectué un périple entre la Turquie et la frontière chinoise à la rencontre des nomades, raconte le libraire. J’y crois et je sais qu’il a une chance de séduire mes clients."