"Ce serait bien si nous mourions tous et que commence une époque éternelle de lancinante nostalgie de la vie. L'enfer : la nostalgie éternelle." Turin, en un futur si proche qu'il pourrait être aujourd'hui : l'homme qui écrit ces lignes dans son journal intime, Giovanni Ceresa, a vu ses voeux comblés. D'une certaine façon, il est déjà mort. Ce professeur de lycée voit en effet le monde, le sien, se défaire sous ses yeux. Autour de lui, tous perdent la mémoire et se retrouvent condamnés à vivre comme dans une espèce de présent permanent. Lui-même n'est pas à l'abri, et sur les conseils de son unique ami, Winnie, consigne chaque jour ses faits et gestes. Dans une ville en proie à l'oubli de l'existence même d'un possible lendemain, envahie par des bandes de hors-la-loi se définissant comme des morts-vivants, Giovanni essaie de préserver un peu de ses souvenirs, c'est-à-dire de son humanité.
Giovanni est le triste héros égaré de La fin des jours, le deuxième roman traduit en français de l'écrivain sarde, Alessandro De Roma. Si sa construction est peut-être moins complexe que celle de l'impressionnant et inaugural Vie et mort de Ludovico Lauter (Gallimard, 2011), l'ambition romanesque est tout aussi élevée. Cette fable construite sur un modèle de société anti-utopique a le bon goût de ne pas sacrifier l'efficacité du récit à la "justesse politique" du propos. L'auteur définit son roman comme "un livre de science-fiction intimiste". Ce qu'il est, tout en étant aussi autre chose : une parabole sur la dignité et le droit, le prix à accorder à la capacité des hommes à vivre ensemble. Ce récit d'anticipation paranoïaque voisine dans ses meilleurs moments avec les grands modèles du genre, Philip K. Dick, Orwell, Huxley et surtout l'admirable Nous autres de Zamiatine. Un autre monde est toujours possible, mais souhaitable ?