Roman/Belgique 9 janvier Jeroen Olyslaegers

« Au commencement était la représentation des ténèbres... », prévient d'emblée Jeroen Olyslaegers. Un coup de tonnerre qui annonce une plongée dans les heures les plus sombres d'Anvers, sa ville natale. Cet auteur majeur, également dramaturge, a d'ailleurs fait sensation avec ce roman, qui s'inscrit dans une trilogie sur la mémoire et l'identité. Couronné par le prestigieux prix Fintro, il ose scruter l'inavouable : la collaboration lors de la Seconde Guerre mondiale.

« Rien ne s'arrête jamais. Tout continue et rien ne s'efface jamais, quand bien même chacun s'échine à vouloir tirer une ligne dans le sable. » Raison de plus pour alerter les consciences. Celle de Wilfried Wils n'est pas des plus tranquilles. Le corps du vieillard s'amenuise, or ce n'est point cela qui l'épuise. Avant de mourir, il se doit de livrer « [s]es confessions d'un comédien », dont le nom, « Wil », signifie volonté et testament. Deux éléments clés pour saisir la trame d'une vie rejaillissant sur ses descendants.

Voici donc Anvers, dans les années 1940, « ville occupée où la peur est devenue la norme. Celle-ci se pare d'un autre masque. » Il en va de même du jeune Wilfried, qui se rêve en Rimbaud
flamand. En réalité, le poète porte un uniforme de policier, « objet rassurant. Patrouiller est comme un rituel apaisant au milieu de cette folie. » Son collègue et ami, Lode, ne partage pas son avis. Lucide quant au sort réservé aux juifs, il devient résistant. « Vivre en guerre est quelque chose de particulier. C'est une période d'accélération, de choix radicaux, de temps où chacun montre qui il est. C'est comme un strip-tease. »

Ce climat nauséabond ne correspond pas tant à l'héroïsme qu'à la violence, la dualité, la trahison ou l'impunité. « Ne fais pas dans ton froc. Sois prêt à tout. C'est la peur qui te fait vivre », rappelle l'un des personnages. Wilfried en fait son adage. Ce fonctionnaire n'est pas un salaud, juste un opportuniste ordinaire qui cumule les petites lâchetés, professionnelles et privées. Or, à force de les additionner, il se laisse aisément happer par le grand tourbillon de l'Histoire. Ainsi, « cet autre versant » de lui-même contribue aux grandes rafles d'Anvers. A travers lui, Jeroen Olyslaegers pointe le pouvoir des policiers, maillons essentiels de la déportation.

« Un homme est-il digne de
confiance ? »
s'interroge l'écrivain, souvent considéré comme un héritier d'Hugo Claus. A l'heure où l'extrême droite vient encore de s'imposer aux dernières élections - près de 50 % à Anvers -, ce roman donne le vertige tant on a le sentiment de revivre la même époque. Il analyse parfaitement les prémices du pire. Un pointillé qui finit par faire basculer une ville ou une âme, aussi grises soient-elles. Quelles frontières morales est-on prêt à traverser ? Nul ne le sait, à moins d'être confronté à des situations extrêmes. Jeroen Olyslaegers n'est jamais dans le jugement, juste dans le terrifiant constat que cela a été possible et le sera encore. Alors que son grand-père était « un collabo sans remords », lui préfère transmettre un autre flambeau aux générations de demain. Plus qu'un « rendez-vous avec l'Histoire », il s'agit d'un rendez-vous avec nous-mêmes.

Jeroen Olyslaegers
Trouble - Traduit du néerlandais (Belgique) par Françoise Antoine
Stock
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 22,50 euros ; 448 p.
ISBN: 9782234084247

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