Inédit en français depuis la fin des années 1920, quand Friedrich Glauser l'écrivit, La Légion étrangère peut être considéré comme le chaînon qui manquait à l'appréhension de son oeuvre singulière. Ce bref récit autobiographique, morcelé en courts chapitres à l'intitulé ironique, "Une fin peu romantique" par exemple, raconte le séjour qu'effectua l'écrivain suisse dans la Légion étrangère française. Incorporé en avril 1921, il sera réformé en mars 1923, après quoi il viendra s'installer à Paris, où il mènera la vie dissolue et malhonnête dont il était coutumier : drogue, petits boulots, vols, fuite...
Friedrich Glauser était un "bad boy", à la Rimbaud ou à la Genet, souffrant d'une démence précoce qui lui vaudra plusieurs séjours psychiatriques. Ce qui l'attirait dans la Légion, corps très contesté à l'époque, dont il ne fait pas l'apologie mais qu'il ne dénigre pas non plus, c'était un recadrage, "une nouvelle vie sur cette terre", "une nouvelle personnalité". Echec total puisque, outre l'ennui, façon Désert des tartares, qui le suit en Algérie puis au Maroc, Glauser succombe à ses vieux démons : tristes fêtes, grivèlerie. Il passera même quelque temps en prison, où il tentera de se suicider.
Une dizaine d'années après, l'écrivain retrace son expérience, sans pathos, même quand, de garde ce matin-là, il découvre un légionnaire condamné à mort pour meurtre qui s'est pendu dans sa cellule. Ses propres mésaventures sont contées avec une simplicité presque "extérieure" et un sens aigu de l'autodérision. Ainsi ces scènes où les légionnaires tiennent une espèce de salon littéraire !
De son passage dans la Légion, juste ce récit, et puis Gourrama, un roman de la Légion étrangère, son chef-d'oeuvre (Promeneur, 2002, comme presque toute son oeuvre) - qu'il ne verra pas de son vivant sous forme de livre. Glauser, mort en Italie en 1938, à 42 ans et à la veille de se marier, s'était fait connaître, dans les années 1930, par ses romans policiers genevois, et son personnage de l'inspecteur Studer. Il avait aussi publié Gourrama en feuilleton dans la revue ABC. De celui qu'on surnomme parfois le "Simenon suisse" demeure une oeuvre vaste et diverse, et aussi la trajectoire sulfureuse et météorique d'un écrivain qui n'a pas eu le temps de donner tout ce qu'il portait en lui.
De Glauser, Zoé reprend également en poche Le thé des trois vieilles dames, polar publié en 1987.