1ER MARS - ROMAN France

Georges Perec écrit comme un jazzman, en variant les effets.- Photo ANDRÉ PERLSTEIN/SEUIL

Georges Perec est plus présent que jamais en librairie. Le Bleu du ciel a publié en décembre un recueil de correspondances, 56 lettres à un ami. Maryline Heck a ensuite fait paraître début février chez José Corti un essai très fouillé, Georges Perec : le corps à la lettre. Près de trente ans après la mort de son auteur, voici même que le Seuil propose dans la collection "La librairie du XXIe siècle", dirigée par Maurice Olender, un roman inédit de l'oulipien. Le condottiere est une "oeuvre de jeunesse, aiguë et surprenante", comme le note Claude Burgelin dans son instructive préface où il ajoute que le manuscrit "contient nucléairement les grands textes à venir".

Il nous faut remonter jusqu'à la toute fin des années 1950. L'aspirant écrivain qu'est alors le jeune Perec a déjà derrière lui Les errants, un tapuscrit disparu qu'il n'a jamais proposé à l'édition, et L'attentat de Sarajevo que Maurice Nadeau a refusé. Le condottiere a d'abord pour titre La nuit, puis Gaspard, et Gaspard pas mort, en référence à son héros, Gaspard Winckler, qui réapparaîtra plus tard dans La vie mode d'emploi (Hachette/P.O.L 1978, prix Médicis).

Au Seuil, Luc Estang fait la fine bouche devant les 350 pages de la première version. Georges Lambrichs, pour la collection "Le chemin" chez Gallimard, accorde quant à lui à Perec un à-valoir de 75 000 francs en mai 1959. Ce qui n'empêche pas le comité de lecture de la rue Sébastien-Bottin d'émettre un avis défavorable en novembre 1960. Blessé, Perec remise par-devers lui son texte et s'attelle aux Choses qui sort en 1965 dans la collection "Lettres nouvelles" chez Julliard et reçoit le prix Renaudot.

Le condottiere aujourd'hui exhumé commence avec le cadavre, lourd et ensanglanté, d'un certain Madera dont on apprendra qu'il se prénomme Anatole. Ledit Madera, le cou épais et gras, le visage "flasque, un peu bellâtre", a eu la gorge sectionnée d'un coup de rasoir. Peintre faussaire, Gaspard Winckler, le narrateur, trimbale son corps dans les escaliers menant au sous-sol d'une maison de Dampierre (Eure-et-Loir) où il va se retrouver enfermé. De l'autre côté de la porte, on note rapidement la présence d'Otto Schnabel. Lequel, s'imagine Winckler, ne va pas manquer d'appeler à Gstaad le dénommé Rufus qui risque de débouler au volant de sa Porsche...

"Pelote embrouillée", selon Claude Burgelin qui la démêle à merveille, Le condottiere n'a rien d'un fond de tiroir. Georges Perec fait entrer le lecteur dans la tête d'un Winckler rongé par les questions. Voici un ancien élève de l'Ecole du Louvre qui essaye de comprendre comment il a bien pu en arriver là. Un bon ouvrier qui sait comment reproduire "l'équilibre, la cohérence interne d'un tableau" et a rêvé de créer un "authentique chef-d'oeuvre du passé" sans y arriver... Perec écrit comme un jazzman, en variant les effets. Il prouve qu'il était déjà un prosateur ayant le souci du style et du point de vue, réussissant à injecter dans ses pages tendues de l'humour et des jeux de mots.

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