Littératures de l'imaginaire

Un nouvel espoir

Japan Expo 2015 - Photo Olivier Dion

Un nouvel espoir

Les éditeurs de SF et de fantasy ont joué collectif en reconduisant le Mois de l'imaginaire pour soutenir le développement du secteur. A la veille des Utopiales, à Nantes, du 31 octobre au 5 novembre, ils tirent un premier bilan de cette action inédite qui repousse les frontières du genre. _ par Benjamin Roure

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Par Benjamin Roure,
Créé le 26.10.2018 à 13h10

Le Mois de l'imaginaire vient de s'achever, et il a déjà des allures d'institution. Pourtant, ce n'est que sa deuxième année d'existence. Et encore... Car 2017, c'était l'année zéro, une première expérience pour installer octobre comme un mois dédié à un genre mal aimé des médias et des librairies. Stéphane Marsan, directeur de Bragelonne, en rappelle l'objectif : « Tout le monde est geek, paraît-il, mais où est l'imaginaire en librairie ? La croissance du genre des années 1980 à 2000 n'a pas été accompagnée par une présence proportionnelle dans les médias et dans les rayons. Ça ne suffit pas de dire que ce n'est pas juste ! Il nous faut agir et aider les libraires à faire de la place à la SF et à la fantasy. »

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L'année zéro, donc, a été marquée par les tâtonnements, le délicat apprentissage du travail collectif, par-delà les objectifs individuels et les rancœurs personnelles. Mais tous ou presque expriment leur envie de continuer. « Le Mois de l'imaginaire a prouvé qu'il y avait un impact à se bouger tous ensemble, résume, enthousiaste, Jérôme Vincent, chez ActuSF. Pour son lancement, plus d'une centaine d'événements ont été labellisés. Et nous sommes plus de quarante éditeurs à être associés désormais. Ce n'est pas rien ! »

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Le poche sourit, le grand format grimace

Commercialement parlant, toutefois, les résultats sont contrastés. « Pour les éditeurs de poche, le Mois a été excellent, avec une hausse du chiffre de 23 % au global, se réjouit Manuel Soufflard, chef de groupe marketing chez J'ai lu. Et plus le programme éditorial était bon, plus le résultat a été fort. » Pocket, Folio et Le Livre de poche confirment. Pour les éditeurs grand format, en revanche, aucun effet ou presque sur les ventes. « Mais c'est une opération qui avait été pensée avant tout par des éditeurs de poche, donc c'est logique », souffle Mireille Rivalland, directrice de L'Atalante, qui dit profiter désormais de l'opération pour sortir des livres francophones en octobre, afin de faire tourner les auteurs en dédicaces. Thierry Daniel, gérant de la librairie Garin à Chambéry, ne retient d'ailleurs que cet unique avantage : « Le Mois de l'imaginaire nous a donné l'occasion de faire venir Danielle Martinigol pour une rencontre, ce fut un beau moment. Pour l'activité sur le rayon, difficile à dire. »

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« Le bilan est probant, notamment par son volet événements en librairie ou en bibliothèque », abonde Pascal Godbillon, responsable éditorial de la collection « Folio SF » chez Gallimard, qui a constaté un effet vente sur le poche, mais rien ou presque sur le catalogue « Lunes d'encre » de Denoël, qu'il pilote -aussi. « L'édition 2017 a reçu un excellent accueil des librairies de toutes tailles, surtout grandes enseignes et premier niveau. Il faut instituer ce rendez-vous car il permet une communication renforcée », renchérit Sophie Perfus-Mousselon, au marketing du Livre de poche. Et les primes proposées pour l'occasion, du livre offert pour deux achetés au petit « coussin-planète » de Folio, le bilan est mitigé. « Pour les librairies qui ont déjà du fonds, je n'y crois pas, explique Olivier Legendre, chez Sauramps à Montpellier, qui s'enorgueillit de quelque 150 mètres linéaires de littérature de l'imaginaire. C'est plutôt l'occasion d'organiser des événements. Sans le Mois de l'imaginaire et la complicité des éditeurs, nous n'aurions pu organiser nos rencontres, murder party, et autres concours de déguisements. »

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Naissance d'un lobby

Il s'agit donc bien de faire du bruit et de montrer la vivacité du secteur. Mais certains mettent en garde, à l'image d'Olivier Girard, le fondateur du Bélial' : « Le Mois de l'imaginaire permet un certain nombre d'opérations. C'est pertinent. Après, si ça se limite à une bête occasion de mettre ponctuellement plus de bouquins en librairie, ça ne servira qu'à une chose : faire exploser nos taux de retour. »

Malgré l'envie de toutes parts de développer l'initiative, l'édition 2018 a mis au jour les limites d'un mouvement reposant sur la bonne volonté des uns et des autres. Le nouveau logo n'était pas prêt quand Le Livre de poche a fait imprimer ses affiches, l'attachée de presse n'était pas encore recrutée en septembre. « Tout le monde est convaincu, mais tout le monde a la tête dans le guidon... Et ce qui doit prendre trois mois prend un an », résume Davy Athuil, éditeur chez Le Peuple de Mü. Dès lors, certains s'attachent déjà à voir plus loin. « Il faut poursuivre nos efforts pour que les libraires soient convaincus que l'imaginaire a une place chez eux, martèle Mathias Echenay, directeur de La Volte. Ce qui compte, ce n'est pas le Mois. C'est avant et après. » Mais comment faire avec des bouts de ficelle ? « Le Mois est très bon pour la visibilité, mais si on veut faire du lobbying, il nous faut une structure », assène Marion Mazauric, fondatrice d'Au Diable vauvert. Lobbying, le mot est lâché. « Les freins existent encore chez les libraires, bibliothécaires, journalistes, mais on sent que les choses bougent, poursuit Mathias Echenay. Nous devons augmenter notre pouvoir d'attraction. Créer une association permettra de mieux se coordonner. » Et de faire « sauter un verrou qui est essentiellement générationnel », veut croire Marion Mazauric.

Concrètement, l'association agirait en son nom, grâce à un budget alimenté par les cotisations de ses membres éditeurs et des subventions qu'elle aurait obtenues. Le Centre national du livre a déjà été sondé et encouragerait la démarche. « Le volet pédagogie est encore trop faible dans le Mois de l'imaginaire, constate Stéphane Marsan. L'association pourrait proposer des formations multi-éditeurs auprès des libraires et bibliothécaires, pour expliquer nos catalogues. » Mireille Rivalland va dans le même sens : « On pratique déjà cela avec nos distributeurs. Une association ajouterait un étage à cette démarche. » Quant au projet de Maison de l'imaginaire, conceptualisée à Lyon, l'an dernier, par Davy Athuil, comme un lieu de croisement des arts, des sciences et de l'entreprise,  « il n'est pas enterré mais le projet évolue, explique-t-il. L'idée serait de mettre les auteurs de science-fiction au centre du jeu, autour des questions de prospective. De dire : "Regardons la SF d'aujourd'hui pour éviter nos erreurs de demain". »

Un rayon brûlant

Car les acteurs de l'imaginaire sont plus que jamais sûrs de leur force et de la profondeur de leur offre, entre patrimoine et jeunes pousses. « La littérature de l'imaginaire, c'est la culture de demain, car c'est de la recherche et développement ! s'enthousiasme Frédéric Weil, directeur général de Mnémos. Depuis quelques années, une mutation s'est enfin amorcée en France : le genre déborde vers d'autres littératures. » Le grand enjeu pour les éditeurs d'imaginaire est donc de faire comprendre aux lecteurs que, souvent, ils lisent de l'imaginaire sans le savoir. Chez Sauramps, Olivier Legendre raconte que la pile d'Avec joie & docilité de Johanna Sinisalo chez Actes Sud (un thriller dystopique pas trop typé SF) ne s'est pas écoulée en littérature générale, mais a bien fondu en imaginaire. « Si on avait eu les deux rayons en enfilade, on l'aurait mis à cheval et ça aurait cartonné encore plus ! » note le libraire.

Cette question du rayon est à double tranchant pour un genre plein de sous-genres, trop souvent repoussé en fond de boutique. D'un côté, il aide à identifier des éditeurs, qui tentent de se singulariser. « Les acteurs de l'imaginaire se spécialisent. C'est bien, on se marche moins sur les pieds et cela donne une conscience de son identité qui rassure les libraires », analyse Stéphane Marsan. Par exemple, Les Moutons électriques assument et justifient cette recherche d'originalité. « Nous nous sommes spécialisés dans des textes très littéraires et dans la création francophone, décrit André-François Ruaud, le directeur littéraire. C'était aussi une nécessité face à des droits de plus en plus élevés. » Car il faut bien émerger dans cet océan que d'aucuns nomment surproduction. « Mon sentiment est que, depuis vingt ans, le public existe de façon massive, mais qu'il fait face à une surproduction démente, avance Gilles Dumay, à la tête d'Albin Michel Imaginaire. Dans ce marché dérégulé, forcément, il y aura des morts. Il faut contrôler la production. Je ne sortirai que sept ou huit livres en 2019, mais je les accompagnerai au mieux, avec des mises en place importantes. »

D'un autre côté, SF et fantasy lorgnent jalousement d'autres rayons. La littérature, bien sûr, pour des éditeurs comme Au Diable vauvert, qui se réjouit de voir Neil Gaiman sur la liste du « Nobel alternatif ». Mais c'est le rayon young adult qui suscite le plus de convoitises. « On ne récupère plus les jeunes qui grandissent et ne savent plus quoi lire, déplore Thibaud Eliroff, directeur de la collection « Nouveaux Millénaires » et « Imaginaire » chez J'ai lu. Sans doute n'est-on pas assez sexy. » Stéphane Marsan confirme : « Le young adult nous a mangé la laine sur le dos. A nous d'être plus appétissants ! On a parfois une image à la papa... Globalement, la légitimation de notre genre ne joue pas toujours en notre faveur, en termes de territoire. Nous avons pourtant la main sur un tas d'or en devenir... » Mais il va sans doute falloir attendre encore quelques Mois de l'imaginaire pour voir ce trésor enfin fructifier. W

Qu'est-ce qu'une bonne couv'?

Barbare à grosse épée ou graphisme épuré ? Pour contenter les fans de l'imagerie traditionnelle et attirer des lecteurs qui trouveraient cette iconographie puérile ou pompière, les éditeurs et leurs directeurs artistiques jouent les équilibristes.

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C'est le débat -éternel où tout le monde a raison : -comment -sortir du cliché -adolescent, mais toujours donner à -rêver... » Ainsi Gilles Dumay, qui -dirige Albin Michel Imaginaire, résume-t-il le -dilemme des éditeurs de SF et de fantasy au -moment de choisir la couverture d'un livre. « En tant qu'éditeur de genre, on a du mal à -remettre en cause notre intui-tion -esthétique, confesse Stéphane Marsan, directeur éditorial de Bragelonne, leader sur la fantasy. Prend-on le risque de ne pas être identifié tout de suite, dans l'espoir d'attirer un -nouveau public poten-tiel ? Quand la -rentabilité d'une série se joue à 1 000 exemplaires, on -hésite. » Gilles -Dumay, lui, n'a pas trop hésité pour lancer sa collection. « J'aime les couvertures qui claquent, j'ai été très marqué par celles de Frank -Frazetta dans les années 1970. Chez Albin Michel, je voulais donner la priorité à l'image. -Ainsi qu'une typo énorme qui mette en avant le nom de -l'auteur, et qui doit nous aider à être reconnaissable au premier coup d'œil. » Toucher la cible prioritaire par la vue reste donc l'objectif premier. « Tout en étant dans l'air du temps, la couverture et la typographie doivent parler immédiatement de l'histoire, commente Audrey -Petit, directrice littéraire au Livre de poche. Par exemple, nous allons republier Conan, qui n'était plus disponible en poche.Nos petites intégrales auront des couvertures évocatrices mais dont la mission sera de ne pas effrayer. »

Evolution esthétique

Directeur artistique des Moutons électriques, Melchior Ascaride regarde beaucoup ce qui se pratique en Angleterre. « Là-bas, l'état d'esprit général est différent autour de l'imaginaire, qui est bien mieux perçu. Et le travail sur l'habillage des couvertures concerne l'ensemble de la littérature. » Il estime de plus que l'évolution des littératures de l'imaginaire doit aller de pair avec une évolution esthétique. « Certains codes visuels sont en train d'être dépassés, on le remarque sur les couvertures beaucoup plus sobres des dernières éditions du Seigneur des Anneaux ou du Trône de fer. Bien sûr, tout est question d'équilibre. Pour le label Les saisons de l'étrange, par exemple, sur lequel je publie des fictions fantastiques en hommage aux romans-feuilletons, je joue à fond sur les codes de la culture Z ou des comics. » Côté poche, Pocket a opté pour une charte plus limpide l'an dernier, avec un Pantone métallique commun et une typo différente pour la SF, la fantasy et le fantastique. J'ai lu tente l'épure sur des valeurs sûres, comme les séries phares de George R.R. Martin et Robin Hobb, mais avance avec prudence. « On avait tenté une maquette plus fluctuante pour certains auteurs qui auraient pu sortir du rayon SF habituel, mais ça n'avait servi à rien », se souvient Thibaud Eliroff, le directeur de collection. En effet, si la sobriété est la -marotte des graphistes actuels, le public ne suit pas forcément. L'Atalante avait choisi cette voie pour sa collection poche. « Les couvertures sobres, à vocation -généraliste dans leur conception graphique, avaient -emballé représentants et libraires, raconte Mireille -Rivalland, sa directrice. Mais les lecteurs étaient en manque de repère et d'identification, et les résultats sur la durée n'ont pas été à la hauteur des attentes. Nous allons retoucher la collection et remettre une image sur la première de couverture. On le sait, les couvertures, c'est l'expérimentation permanente. » W

Nouveau format pour la nouvelle

Retour d'expérience d'Olivier Girard, fondateur du Bélial', qui raconte le succès surprise de sa collection « Une heure lumière ».

« Quand nous avons lancé la collection "Une heure lumière", dédiée à la novella ou court roman pour les 20 ans du Bélial' en janvier 2016, le pari était considérable : du poche inédit - sans seconde exploitation possible -, dans un format méconnu en France. Mais de nombreux avantages contrebalancent cette prise de risque. L'énorme vivier de textes anglo-saxons à disposition, d'abord. Et le fait que plutôt que de subir le marché, nous le créons. Cela permet de tester des auteurs et de rapidement développer notre catalogue ; l'édition indépendante est un sport de combat, et aussi un sport de fond ! Contre toute attente, la collection a rencontré un succès quasi immédiat. J'avais constaté que les adolescents qui m'environnent éprouvent le même plaisir, voire la même fierté, à terminer un livre de 100 pages ou de 500. Du coup, je me suis dis qu'il y avait peut-être un moyen de faire venir un jeune lectorat à de la SF exigeante, conceptuelle, écrite. Et, si le format de la novella est ancien, il répond aux attentes actuelles. Des temps de lecture fractionnés, les transports en commun, etc. C'est un format parfaitement adapté à la vie moderne. »

Hugo : des objectifs prudents

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Hervé Desinge est chargé de la nouvelle collection « Nouveaux mondes », chez Hugo & Cie, il dévoile ses premières ambitions.

Pourquoi vous lancer dans l'imaginaire ?

Pour moi, la SF était un amour de jeunesse car j'avais créé des magazines sur ce thème. A la demande d'Hugues de Saint Vincent, fondateur d'Hugo, j'ai accepté d'y revenir. A deux conditions : ne pas se fixer d'objectifs délirants et -privilégier les coups de cœur, avec un storytelling autour de l'auteur.

Ce n'est donc pas un axe de développement fort ?

Je ne crois pas à la possibilité d'énormes best-sellers en imaginaire. Mais je veux sortir du lot avec des livres originaux et récréatifs. Nous avons commencé par deux romans de SF, Armada et Void star, les suivants seront gothiques, puis -fantastiques. En tant que nouvel -entrant, il faut être modeste et -communiquer intelligemment. Nous l'avons fait avec la new romance, et nous savons qu'il y aura des étapes douloureuses.

Pas de création -francophone prévue ?

Dans ce domaine, le -montant des droits est assez raisonnable. Nous -pouvons donc nous -positionner. Mais pour attirer des auteurs qui ont du poids, et qui sont souvent engagés ailleurs, il faut une légitimité commerciale. Nous verrons donc le moment venu. W

Les 50 meilleures ventes Littératures de l'imaginaire

Le Livre de poche (17 titres dans le top 50) est toujours le champion dans son rayon, grâce à Bernard Werber, -Stephen King, Maxime -Chattam ou le Silo de Hugh Howey. J'ai lu profite lui -aussi de King, mais -surtout de -Robin Hobb, George R.R. -Martin (13 romans dans le top 50). Plus discret dans ces cimes, Bragelonne fait tout de même plus que -résister. Avec Milady - qui va se concentrer sur la cible -féminine, les poches passant sous la bannière « Bragelonne Poche » - la maison est toujours un des leaders du secteur grâce à La Saga du Sorceleur, une présence phare en fantasy.

Mais dans le peloton de tête, celui qui s'impose durablement est un classique contemporain : La horde du contrevent, en poche chez Folio SF, avec des ventes chaque année supérieures ! Soutenu par une adaptation BD chez Delcourt, le phénomène ne devrait pas s'arrêter là. Car l'auteur, Alain Damasio, va publier Les Furtifs au printemps 2019, son premier roman depuis... La horde du contrevent (2004). De quoi fêter dignement les 15 ans de son éditeur originel, La Volte.

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