20 mars > Témoignage France

Attention, Lettres à Delphine - sa femme, ainsi qu’à quelques autres correspondants - de l’écrivain Louis Pergaud est un chef-d’œuvre. Celle-ci, par exemple, adressée le 8 mars 1915 à l’académicien Goncourt Lucien Descaves : "Je voudrais que les salauds qui parlent du confort des tranchées et qui donnent aux patriotes en chambre des photos truquées de tranchées d’opéra-comique, fussent obligés de passer vingt-quatre heures devant Marchéville, dans les marais de la Woëvre que nous occupons." Même à sa "bien chère petite gosse", la principale destinataire de ses lettres, il ne peut voiler la réalité, même s’il la ménage un peu. Ainsi, le 30 mars, il fait le récit d’une attaque des tranchées ennemies : "Un de mes sergents, le cerveau troué, tombe à côté de moi, m’éclaboussant de cervelle et de sang. […] C’était horrible." Pourtant, quoique déjà "pacifiste et antimilitariste" avant la guerre, le sous-lieutenant Pergaud Louis (promu en mars 1915), instituteur et fils d’instituteur, était un patriote, et il a accompli son devoir sans faillir, jusqu’au bout. Il est mort dans la nuit du 7 au 8 avril 1915 à Verdun, et son corps n’a jamais été retrouvé. Longtemps, Delphine a refusé de le croire mort, et a continué de lui écrire. La dernière lettre de Pergaud est datée du 7 avril, et lui donnait rendez-vous "à demain".

On peut enfin lire dans leur intégrité ces lettres, autrefois expurgées par Eugène Chatot, ami d’enfance de Pergaud, témoignage de première main, implacable, sur la guerre de 14-18 telle qu’elle s’est passée, sur le terrain. Mais, outre sa valeur documentaire, ce livre est un livre d’écrivain. Sans la guerre, Pergaud serait sans doute devenu l’un des plus brillants de sa génération (il était né en 1882). De lui, tout le monde connaît La guerre des boutons (1912), surtout grâce au cinéma. Mais il a aussi écrit des poèmes, des recueils de nouvelles, dont De Goupil à Margot, prix Goncourt 1910, ou encore Le roman de Miraut, "chien de chasse", sans doute son meilleur livre. De sa triste enfance franc-comtoise, il avait gardé un profond amour des animaux.

Dans sa cantine, on a retrouvé un Carnet de guerre, plus brut et moins "écrit" que ses lettres, publié au Mercure de France, en 2011, et remis en vente aujourd’hui. Il s’interrompt abruptement le 6 avril 1915. Louis Pergaud avait 33 ans. Jean-Claude Perrier

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