16 novembre > Poésie France > Georges Perros

Peut-on être poète sans poème ? Oui, si l’on considère la poésie comme une certaine manière d’appréhender la vie plutôt qu’une façon de l’exprimer. La poésie comme lecture avant même d’être écriture, c’est exactement ce que confiait Georges Perros retiré en Bretagne depuis quelques années au philosophe Brice Parrain dans une lettre de 1962 : "Le plus beau poème du monde ne sera jamais que le pâle reflet de ce qu’on appelle la poésie, qui est une autre manière d’être, ou, dirait l’autre, de s’habiter."

Pourtant le poète né Georges Poulot, en 1923 à Paris, et qui avait débuté dans des mises en scène de Pierre Dux, aux côtés de Jeanne Moreau, avait été sociétaire de la Comédie-Française et était l’ami de Gérard Philipe ou de Michel Butor, n’a pas rien écrit, ainsi que le prouve ce "Quarto" publié sous la houlette de Thierry Gillybœuf, réunissant ses recueils Poèmes bleus (1962) et Une vie ordinaire (1967), trois volumes de "notes", ces pensées sous forme de "paperolles", Papiers collés (1973-1978) et des œuvres qui n’étaient plus disponibles, Echancrures (1977) et Huit poèmes (1978). Moins elliptique qu’un Héraclite et plus prolifique qu’une Catherine Pozzi, Perros demeure un chantre de l’écriture fragmentaire, préférant la bribe au roman, l’épiphanie de la sensation fugitive au lyrisme pictural de l’épopée (il affectionne l’octosyllabe léger au solennel alexandrin), la fulgurance d’une réflexion paradoxale à la rhétorique articulée du discours. D’où cette célébration, chez lui du bout des lèvres, de la banalité du quotidien : "La vie est monotone. C’est la mort des gens qu’on aime, l’amitié, l’amour qui la rompent. Mais le mot monotone n’a rien de péjoratif. Mes horaires suivent ceux de mes gosses. Quand ils vont à l’école, je viens travailler." Thierry Gillybœuf, dans sa préface, qualifie Perros d’"écrivain bartlebyen", car il semblerait qu’avec le héros de la nouvelle d’Herman Melville il partage cette même réticence, cette intuition que l’écriture est de l’ordre du second best. Quel est ce deuil qui est au départ de toutes choses ? Chez Perros, c’est la mort dès sa naissance d’un frère jumeau, qui marquera tel un sceau ses jours, un manque indéfinissable qui donne le "la" d’une œuvre en quête : "Je vis dans l’ombre du possible/L’ennui tisonne mon visage/Le traître avenir me fait signe/Mais sais-je où mon cœur est ancré ?"

S. J. R.

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