16 mai > Philosophie France > Eric Fiat

"Tu verras bien qu’un beau matin fatigué/J’irai m’asseoir sur le trottoir d’à côté." Dans l’album Bidon (1976), Alain Souchon évoquait l’abattement qui surgit parfois dans nos existences. Car sans la fatigue, la vie serait épuisante. Eric Fiat l’a bien compris. Ce philosophe (université Paris-Est Marne-la-Vallée) est intrigant. D’abord, il est clair. On comprend immédiatement de quoi il parle, c’est un gain de temps inestimable pour toute personne curieuse. Ensuite, depuis des années ce spécialiste de l’éthique médicale s’intéresse à un sujet majeur, la fragilité humaine.

Cette notion, il l’a explorée dans plusieurs ouvrages toujours aiguisés: un petit traité de la dignité (Grandeurs et misères des hommes, Larousse, 2010), une analyse du rapport Corps et âme (Cécile Defaut, 2015), une approche de La pudeur (Plon, 2016) avec Adèle Van Reeth, qui l’accueille ici dans sa nouvelle collection "La relève".

La fatigue est par essence un thème littéraire. Peter Handke a magnifiquement démontré combien elle lui était nécessaire pour créer, pour se laisser envahir par l’inspiration. Mais la fatigue, c’est aussi la faiblesse, l’accablement, la lassitude, la dépression, le burn-out. Nous sommes bien dans l’idée de fragilité, cette "petite vieillesse" qu’il faut tenter d’expliquer et de comprendre.

Eric Fiat s’y attelle avec son écriture baroque, allusive, très agréable. Cette promenade philosophique, pleine d’humour et d’humeurs, puise ses sources chez La Fontaine, Corneille, Pascal, Michaux, Cioran, Jankélévitch et Jean-Louis Chrétien, auteur de l’étude De la fatigue (Minuit, 1996) auquel ce livre rend hommage. Dans les notes savoureuses, s’invitent aussi des partitions, le professeur étant par ailleurs violoncelliste dans l’Ensemble instrumental de Château-Thierry.

"Notre ode à la fatigue n’est pas une ode à toutes les fatigues, et ne saurait nous faire oublier d’en chanter une un jour à la forme, à la vitalité, à la joie." Pour autant, "assumer sa fatigue, ce n’est pas autre chose qu’assumer son incarnation et sa finitude". Sans aller jusqu’à la flemme métaphysique du Dude dans The big Lebowski, on pourrait reprendre l’adage porté par la voix profonde de Philippe Noiret dans Alexandre le bienheureux : "Il faut prendre son temps. Il faut prendre le temps de prendre son temps." Voilà pourquoi cet essai bienveillant et bienvenu invite autant à la réflexion qu’à la paresse. L. L.

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