7 mai > Essai Angleterre

Avec ironie, Alphonse Allais se demandait pourquoi les Anglais donnaient à leurs places et à leurs gares des noms de défaites comme Trafalgar ou Waterloo… Stephen Clarke lui répond en expliquant que, pour un Français, Waterloo n’est pas un fiasco, mais une défaite "qui brille d’une aura digne d’une victoire", pour reprendre la formule de Dominique de Villepin.

Le journaliste britannique, ancien scénariste pour BBC Radio 4, brocarde donc gentiment mais fermement cette tendance hexagonale à transformer tout ce qui relève de Napoléon, par une alchimie historique très sophistiquée, de plomb événementiel en or mémoriel. Pour cela, explique-t-il, de nombreux idolâtres ont tronçonné la vie et les campagnes de l’Empereur pour mieux mettre en évidence ses victoires.

L’essai ne dépasserait pas la pochade s’il n’était nourri de nombreuses lectures, témoignages et analyses qui se sont succédé depuis deux siècles. Vétérans, poètes et historiens ont dressé au premier Empire un monument gigantesque, aussi inaltérable que les pyramides. Une récente anthologie choisie par Loris Chavanette et préfacée par Patrice Gueniffey (Waterloo : acteurs, historiens, écrivains, Folio, "Classique", avril) montre l’ampleur des récits en rassemblant les plus belles plumes du XIXe siècle, de Stendhal à Walter Scott.

Il est pourtant exagéré de dire, comme le soutient Stephen Clarke, que les Français, paraphrasant Cambronne, ont dit "merde" à l’égard de la vérité historique. Disons qu’ils ont l’enjolivée. Waterloo fut une victoire perdue par Napoléon et gagnée par les Britanniques et les Prussiens. Plutôt qu’un "déni scandaleux", parlons de pirouette. Personne en France n’aurait le culot de dire que Napoléon a gagné à Waterloo. Mais personne n’irait jusqu’à dire qu’il a totalement perdu…

Après tout, le paradoxe français vaut bien le flegme britannique. En 2005, le gouvernement fut très discret lors des commémorations de la victoire d’Austerlitz. En sera-t-il de même cette année pour le bicentenaire de la défaite de Waterloo ? L’essai de Stephen Clarke fera grincer quelques dents historiennes comme celles de Jean Tulard ou de Jean-Claude Damamme. Mais heureusement, l’auteur de God save la France (Nil, 2005) et de God save les Françaises (Nil, 2007) ne manque pas d’esprit dans sa façon de titiller l’histoire nationale. Qui aime bien châtie bien. Et Stephen Clarke aime beaucoup la France et surtout les Français puisqu’il s’est installé au pays de Napoléon au début des années 1990. Il a tout de même raison sur un point. L’histoire de Waterloo comme défaite a été gommée de l’inconscient collectif. D’ailleurs, lorsqu’on parle du 18 juin, on pense moins à la "morne plaine" de 1815 qu’à l’appel lancé en 1940 pour inviter les Français à traverser la Manche… L. L.

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