Dossier Bande dessinée

Une phase de renouveau

Olivier Dion

Une phase de renouveau

Nouvelle génération d’auteurs, démarrage prometteur de nouveaux éditeurs, exploration des sciences humaines ou du young adult, percée du comics et relance du manga… Si son marché reste stable, le secteur de la bande dessinée, qui se retrouvera du 26 au 29 janvier au 44e Festival d’Angoulême, entre dans une période de régénérescence.

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Par Anne-Laure Walter,
Créé le 20.01.2017 à 00h35 ,
Mis à jour le 24.01.2017 à 18h28

En surface, tout semble calme. Le marché de la bande dessinée est resté stable en 2016, à + 0,2 % en euros courants sur les neuf premiers mois de l’année d’après nos données Livres Hebdo/I+C (le bilan de l’année complète sera connu fin janvier). Mais le secteur du 9e art connaît une vague de renouvellement de son offre et de ses acteurs. "Une année constante et solide, saupoudrée de belles surprises", résume Guy Delcourt, P-DG du groupe du même nom, citant la percée du premier album de Lolita Séchan, la fille du chanteur Renaud. L’année s’est ancrée sur les séries phares et les blockbusters attendus par les lecteurs comme Thorgal, Lou ! ou Lucky Luke, qui s’est particulièrement bien vendu avec plus de 450 000 exemplaires pour La terre promise de Jul et Achdé, et 100 000 exemplaires pour L’homme qui tua Lucky Luke, l’interprétation personnelle du personnage de Morris par Matthieu Bonhomme. Le manga a renoué avec les fortes croissances tandis que le comics demeure en plein essor.

"Le département BD est au cœur de la maison. L’auteur vient avec son idée et on trouve la meilleure forme pour chaque livre." Laurent Muller, Les Arènes- Photo OLIVIER DION

Les polémiques se sont un peu calmées puisque les éditeurs qui avaient menacé de boycotter le Festival d’Angoulême du 26 au 29 janvier seront finalement présents (1). Les Etats généraux de la bande dessinée, lancés en 2015, poursuivent le diagnostic du secteur et de ses maux qui dégradent la condition des auteurs et les marges des éditeurs. Selon le théoricien Thierry Groensteen, la bande dessinée est "au tournant", pour reprendre le titre d’un essai qu’il vient de publier aux Impressions nouvelles. Quant à l’année 2017, débutant avec la première édition couleur de Tintin au pays des soviets et se terminant sur un Astérix, elle sera émaillée de ces gros tirages qui tirent le marché, avec un Titeuf, un Game over, un Kid Paddle, un Lou !, un Largo Winch avec Eric Giacometti au scénario, un Chat du rabbin, un Valérian réinterprété par Lupano et Mathieu Lauffray, deux tomes des Vieux fourneaux, un Chat et un Corto Maltese, deux volumes des Profs, entre autres.

"Le young adult est un genre que beaucoup d’éditeurs explorent, comme nous l’a confirmé notre diffuseur Média Diffusion" Guillaume Mangeot, Ankama- Photo OLIVIER DION

Aiguillons

Pourtant un mouvement de régénérescence est en marche, qui doit porter le secteur pour les prochaines années. Pour le directeur éditorial du Lombard, Gauthier Van Meerbeeck, l’enjeu est de "se renouveler sans repartir dans la surproduction, dans ce contexte de marché stable avec des ventes de tomes 1 assez basses depuis cinq ans". La production du Lombard a été ramenée à 90 albums par an (- 30 % en cinq ans). "Le marché n’évolue pas en termes de chiffres mais il se transforme avec une diversification de l’offre, une ouverture des formats, analyse Moïse Kissous, P-DG de Steinkis. Nous vivons un moment passionnant où les choses se réinventent avec de nouveaux acteurs qui agissent comme des aiguillons, des stimulants pour nous."

"Ces jeunes auteurs pensent en termes de livres et non en termes de planches." Franck Marguin, Glénat- Photo OLIVIER DION

Parmi eux, Allary, avec L’Arabe du futur de Riad Sattouf, ou Les Arènes. L’entrée en fanfare de cet éditeur dans le secteur montre l’engouement pour une bande dessinée qui n’est pas forcément lue par le cœur de lectorat habituel. Un album comme La Présidente (140 000 volumes vendus du tome 1) était à la base un livre de texte. L’éditeur a trouvé la meilleure forme pour défendre le projet. "Le département BD est au cœur de la maison, précise Laurent Muller, le directeur de collection au sein des Arènes. L’auteur vient avec son idée et on trouve la meilleure forme pour chaque livre." Ainsi, l’enquête sur les femmes au Maroc de Leila Slimani, la dernière lauréate du Goncourt, prendra la forme d’un roman graphique, tandis que Paul Pavlowitch va cosigner un livre sur Jean Seberg et Romain Gary, qu’il a bien connu puisqu’il lui avait demandé d’incarner pour les médias son double, Emile Ajar.

La bande dessinée s’immisce dans tous les rayons et a récemment investi celui des sciences dures et des sciences humaines. 2016 a été marqué par le lancement ambitieux de la "Bédéthèque des savoirs" au Lombard, une collection de "Que sais-je ?" en BD, qui a eu pour meilleure vente L’Univers d’Hubert Reeves, qui reviendra à la fin de l’année sous forme d’un personnage, dans une série jeunesse, expliquant la nature aux enfants. Casterman a inauguré "Sociorama", de la sociologie en BD, qui accueillera fin janvier Les nouvelles de la jungle de Calais de Yasmine Bouagga et Lisa Mandel. Le public suit. En témoigne le score surprise du Mystère du monde quantique de Thibault Damour et Mathieu Burniat (Dargaud), qui s’est vendu à 35 000 exemplaires. Dans cette veine, l’éditeur proposera un album de Marion Montaigne qui racontera l’épopée de l’astronaute Thomas Pesquet en septembre.

Car la tendance pour les éditeurs de BD de s’emparer du rayon savoir va s’amplifier en 2017. La Découverte lance une collection avec en mai une histoire du conflit israélo-palestinien par Alain Gresh, puis à la rentrée le premier volume de L’histoire dessinée de la France coéditée avec La Revue dessinée, entreprise qui devrait s’étendre sur 20 volumes. Maison réputée pour ses sciences humaines, le Seuil s’associera à Delcourt pour des adaptations de Deleuze ou Bourdieu. Delcourt est particulièrement avide de sciences puisque l’éditeur prévoit aussi une nouvelle collection, "Octopus", où des auteurs férus de sciences et des spécialistes, ou des grands curieux d’un domaine de connaissances, mettent en scène le sujet qui les passionne comme la médecine, la conquête spatiale, la biologie, la philosophie, la sociologie, l’Histoire. Cette collection, dirigée par Boulet et Marion Amirganian, débutera en mars avec un titre sur la vie sur Mars de Porcel et Surcouf. Rue de Sèvres prévoit une adaptation du roman Alors voilà de Baptiste Beaulieu sur son quotidien aux urgences et un roman graphique sur l’autisme. "Dans une librairie généraliste, il devrait y avoir de la BD dans tous les rayons", affirme Moïse Kissous, citant le remarqué Goupil ou face de Lou Lubie (Vraoum !) sur la cyclothymie. D’ailleurs, pour l’opération 48 h BD qu’il a initiée, l’idée pour la prochaine édition les 6 et 7 avril est de travailler non seulement avec les spécialistes BD mais aussi avec quinze grandes librairies généralistes dont Ombres blanches, Furet du nord, Filigranes, Decitre… avec la mise en place d’un programme de rencontres.

Agathe Jacon, rue de Sèvres. « La jeunesse et la bande dessinée sont deux mondes cousins qui commencent tout juste à collaborer. »- Photo OLIVIER DION

Roulez jeunesse !

L’autre rayon le mieux investi par la BD reste la jeunesse. "La jeunesse et la bande dessinée sont deux mondes cousins qui commencent tout juste à collaborer", constate Agathe Jacon, chargée du marketing de Rue de Sèvres, le label de l’Ecole des loisirs. "Les deux réseaux explorés par notre diffusion bénéficient de notre diversification et la dimension croisée fonctionne bien", ajoute Louis Delas, directeur général de L’Ecole des loisirs, qui cite le succès du Château des étoiles, dépassant les 100 000 exemplaires sur deux tomes. L’éditeur fabrique d’ailleurs les ouvrages trois à six mois avant parution pour que les prescripteurs "aient le temps de les lire et de s’en emparer", précise Agathe Jacon. De son côté, Guy Delcourt note aussi l’engouement pour "les œuvres hybrides à la croisée de la BD et de la jeunesse", comme les "Métamorphose" de Benjamin Lacombe, chez Soleil, l’une des marques du groupe. La maison renforce sa collection "Les enfants gâtés", lancée il y a un an pour faire une passerelle entre l’album et la découverte de la bande dessinée, avec un titre d’Alfred et deux de Lupano. Il prédit une "grosse année Légendaires en 2017" avec un partenariat avec Milan pour faire un magazine, la série et des produits dérivés.

Bamboo annonce un nouvel opus des Sisters en fin d’année et l’arrivée de Tebo pour deux livres jeunesse. Le segment de la bande dessinée pour la jeunesse porte aussi depuis trois ans le groupe Steinkis, qui reprend le chemin de la croissance avec les marques Steinkis et Warum, qui ont doublé leur chiffre d’affaires, tandis que Jungle était à la fin novembre à + 6 %. Alors que la série historique de Jungle Mistinguette dépasse 60 000 exemplaires sur le tome 1, Enola Holmes, plus récente au catalogue, s’installe et est adaptée en série de romans chez Nathan. Moïse Kissous, P-DG du groupe, annonce une nouvelle collection alimentée par des auteurs venus de la fiction. En BD jeunesse, les héroïnes devraient arriver en force en 2017, avec une nouvelle série en septembre au Lombard, spin-off de L’élève Ducobu qui met en scène sa camarade Léonie Gratin, ou les BD accompagnant le nouveau film des Schtroumpfs, qui se déroule dans un village peuplé de filles. "C’est dans l’air du temps, il y a une volonté d’avoir plus d’héroïnes", constate Gauthier Van Meerbeeck. Dupuis prévoit en mars La fille du Z de Munuera, une nouvelle série sur la fille de Zorglub, le grand méchant dans Spirou.

Comédie sociale

L’humour est "un secteur qui vacille un peu", selon Moïse Kissous. Le P-DG de Steinkis constate l’effritement des albums de BD à gags sur une page. Cette branche est de plus bouleversée par le lancement de Michel Lafon, qui développe un département BD, après avoir favorisé la coédition pendant une dizaine d’années, et qui devrait se distinguer en confiant à Gad Elmaleh un album. De plus, Bamboo a racheté Fluide glacial en octobre. "Il ne s’agit pas de faire un Bamboo bis, mais commercialement nous savons vendre des livres d’humour, précise Olivier Sulpice, le P-DG de la maison. Il y a une cohérence, nous fêtons nos 20 ans, et ce rachat ainsi que le lancement de notre force de diffusion nous permettent de trouver un nouvel élan pour les dix prochaines années !" Au 1er novembre, il reprendra aussi la diffusion de Fluide glacial, dont il a pris une part majoritaire même si Madrigall reste actionnaire et qu’il n’y a "pas de retrait envisagé", affirme Olivier Sulpice.

Moïse Kissous remarque cependant qu’"il y a une vraie place pour la comédie sociale ou le feel-good book". Et un succès comme celui des Vieux fourneaux (Dargaud) - plus de 1 000 exemplaires par semaine sur chaque tome, 700 000 exemplaires en cumulé - rappelle celui en littérature générale des feel-good books comme Le vieux qui ne voulait pasfêter son anniversaire. Jungle publiera dans cette veine Les mamies braqueuses en février et prévoit fin 2017 une adaptation d’un des romans centraux de cette mode : L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea de Romain Puértolas, avec Zidrou au scénario.

Autre secteur très dynamique de la littérature générale qui attire les éditeurs de BD : le young adult, cette fiction pour les 12-18 ans comme Nos étoiles contraires ou Divergente. "Le young adult est un genre que beaucoup d’éditeurs explorent, comme nous l’a confirmé notre diffuseur Média Diffusion", explique Guillaume Mangeot, directeur opérationnel d’Ankama, qui cite Maliki ou Magda dans son catalogue ainsi qu’Heart beat de Maria Llovet à paraître fin janvier. Dupuis annonce notamment dans cette veine Rose par Emilie Alibert (scénariste de Plus belle la vie) pour un public intéressé par le young adult.

"Post-Bastien Vivès"

Ce renouvellement est porté par une nouvelle génération d’auteurs. Franck Marguin, qui dirige "1 000 feuilles" chez Glénat, parle de "génération post-Bastien Vivès" qui "mélange les influences en fonction de ses goûts sans se soucier si c’est adoubé par la critique, mélangeant dessin d’auteurs et influence du manga ou du comics". Selon lui, l’auteur de Last man a fait école très vite comme Riad Sattouf, et beaucoup de nouveaux auteurs le citent comme influence majeure. L’autre changement, selon lui, est que "ces jeunes auteurs pensent en termes de livres et non en termes de planches" et proposent dès le premier album des ouvrages de 300 pages. Il publiera trois auteurs de moins de 25 ans en 2017, tous issus des arts déco de Strasbourg : Théo Calméjane avec Jeu décisif, du young adult dans le milieu du tennis, Paul Burckel au dessin de La nuit mange le jour, que son éditeur qualifie de L’inconnu du lac version BD", et Timothé Le Boucher, avec Les jours qui disparaissent.

Le tournant, pour Frédéric Lavabre qui, à la tête de Sarbacane, réalise une très belle année 2016 en progression de 33 % (pour la troisième année consécutive), est le "choc Brecht Evens" qui engendre une nouvelle génération oscillant entre les formes et les médias, comme Alex W. Inker, qui, après un remarqué Apache, finaliste du prix Polar-SNCF, signera en septembre Panama Al Brown sur le boxeur amant de Cocteau. Ces jeunes auteurs passent indifféremment de la bande dessinée à la jeunesse, au cinéma d’animation, au graphisme ou sur YouTube. "En moins de quatre ans, la nouvelle équipe éditoriale de Casterman a renforcé son identité familiale et généraliste en publiant de nombreux jeunes auteurs", explique Charlotte Gallimard, P-DG de la maison, qui a publié en 2016 des livres de jeunes auteurs comme Florent Silloray (Capa), Kevin Bazot (Tocqueville), Helkarava (La banlieue du 20 heures) et Javi S. Casado (Benjamin Blackstone). "La diversité des nouveaux talents empêche toute généralité, poursuit-elle. La nouvelle génération ne s’interdit aucun sujet, aucun style, aucun format. Tout semble aujourd’hui possible car les auteurs, jeunes ou confirmés, ne ressentent aucun complexe par rapport à la littérature et le cinéma."

Chez Futuropolis, Thierry Capot explique que "la bande dessinée a un cœur de lectorat qui est très fidèle, mais c’est un genre qui a besoin de toucher d’autres publics et d’autres librairies" et fait "venir des auteurs qui n’ont jamais touché à la bande dessinée", comme au deuxième semestre Jérôme Prieur et Gérard Mordillat sur le suaire de Turin, ou Paul et Gaëtan Brizzi qui viennent du cinéma d’animation et publieront une adaptation de L’automne à Pékin de Boris Vian.

Pour repérer de nouvelles plumes, les périodiques restent des lieux propices à l’expérimentation. Casterman a d’ailleurs lancé en 2016 une revue, Pandora. Sergio Honorez, le directeur éditorial de Dupuis, explique que Le journal de Spirou est un terrain d’exploration, les jeunes auteurs s’insèrent dans un catalogue, entourés par les grands anciens"."Le journal dans sa forme est une protection car il n’y a pas la sanction immédiate des écoulements en librairie", ajoute Julien Papelier, le DG de Dupuis. Pour donner du temps aux nouveaux albums, il annonce qu’il distribuera à Angoulême 30 000 volumes d’un catalogue qui présente des séries ou des personnages à venir comme Bushido (juin) et Frnck (mars). "Avec la surproduction, tout a tendance à se lisser, précise-t-il. Il faut revenir aux contenus, trouver le moyen de donner du temps aux prescripteurs et aux lecteurs finaux."

Ankama utilise sa série Doggy bags, qui regroupe plusieurs auteurs autour d’une approche graphique comme "laboratoire d’expression qui a permis de trouver plusieurs de nos dessinateurs et scénaristes avec une approche très pulp", précise Guillaume Mangeot. Le tome 13 vient de paraître avec trois auteurs, trois tueries, et des one shots émailleront l’année. Ankama s’amuse aussi des codes du comics. Run prépare un spin-off de Mutafukaz en fascicule (6 de 30 pages) diffusé en librairie via Média Diffusion. Les deux premiers en février et un par mois jusqu’en juin. Rue de Sèvres a eu une démarche similaire en diffusant des gazettes de prépublication pour Le château des étoiles, dont on attend le 3e tome cette année. Pour son énorme lancement de 2017, Infinity 8, l’éditeur a choisi de commercialiser au dernier trimestre 2016 des fascicules comme pour les comics. Ce space opera-comédie en huit tomes, imaginé et piloté par Lewis Trondheim (direction scénaristique) et Olivier Vatine (direction artistique), a débuté par deux tomes en janvier. Trois autres arriveront avant la fin de l’année. d

(1) Voir notre enquête "Angoulême, ton univers impitoyable", dans LH 1104, du 4.11.2016, p. 16-19.

La bande dessinée en chiffres

Manga : l’année des héros

 

Si la série Naruto s’est arrêtée en novembre, le secteur du manga s’est régénéré avec le lancement fulgurant de quatre blockbusters chez des éditeurs challengers qui redessinent le paysage éditorial et tirent l’ensemble du marché.

 

"2016 a montré que le marché n’était pas figé sur trois séries fétiches qui trustaient tout." Grégoire Hellot, Kurokawa- Photo OLIVIER DION

Depuis que le marché du manga dispose de chiffres, c’est la première année que quatre séries voient un premier tome dépasser les 50 000 exemplaires. Les démarrages de One-punch man (Kurokawa), My hero academia (Ki-oon), Platinum end (Kazé) et Ki & Hi (manga français édité par Michel Lafon) ont été fulgurants pour leurs éditeurs, qui n’étaient pas les leaders du marché, les Japonais ayant favorisé les challengers dans l’attribution des licences. Ki & Hi fait exception puisqu’il s’agit d’une création française. Si, pour les heureux élus, l’année 2016 se termine sur une progression de 20 à 30 % du chiffre d’affaires, tous les éditeurs - à l’exception de Pika qui se stabilise - progressent, et le rayon termine 2016 à + 10,5 % selon GFK.

"2016 a montré que le marché n’était pas figé sur trois séries fétiches qui trustaient tout", analyse Grégoire Hellot, directeur de collection chez Kurokawa. Pendant des années, seules les très longues séries One piece, Naruto et Fairy tail colonisaient les meilleures ventes. Même si les écoulements restaient élevés, une forme de lassitude et surtout d’absence de curiosité s’était instillée chez les lecteurs. "Alors que Naruto s’arrête, de nouvelles séries ont trouvé leur place. Le renouvellement est bon pour tout le marché, car certaines personnes avaient délaissé le manga par ennui", constate Christel Hoolans, directrice éditoriale de Kana qui programme, outre Boruto, dans l’univers Naruto, une quinzaine de lancements en 2017.

Retour aux fondamentaux

Pendant les cinq années de contraction du marché, qui a redémarré en 2015, les professionnels du secteur ont travaillé à élargir le lectorat en ciblant les premières lectures et les lecteurs de bande dessinée franco-belge. Mais le marché s’est régénéré par ses fondamentaux : le shonen (manga pour enfants et adolescents). "Le shonen, c’est l’équivalent du blockbuster américain au cinéma. Il représente toujours 60 à 65 % du marché, et a retrouvé la place qu’il avait un peu perdue", précise Ahmed Agne, P-DG de Ki-oon. Kazé, filiale française de Shueisha et Shogakukan, annonce un "retour à nos bases sur un axe shonen/seinen, le point fort de nos sociétés mères", selon son directeur éditorial Pierre Valls. En juin, arrivera ainsi Fire punch, nouveau phénomène au Japon, d’abord publié sur un site gratuit de Shueisha. Pierre Valls prévoit une production réduite centrée sur 160 volumes pour se focaliser sur quelques lancements. Une personne supplémentaire a été embauchée au marketing de Kazé à cet effet.

Car les éditeurs ont appris de leurs erreurs. "Les rythmes de parution se sont calmés, confirme Christel Hoolans. Avant, un nouveau tome d’une série arrivait tous les deux mois en librairie, aujourd’hui on se concentre tous sur trois par an." Si l’Espagne a publié quasiment tous les tomes disponibles de One-punch man, Kurokawa distille les volumes à un "rythme raisonnable" pour "donner un rendez-vous régulier en librairie au lecteur", ajoute Grégoire Hellot. Et le travail d’élargissement du lectorat se poursuit. Outre ses séries phares L’attaque des titans ou GTO, qui va fêter ses 20 ans, Pika a fait de cette ouverture un de ses grands axes de 2017 après la mise en place en 2016 de trois nouvelles branches : la jeunesse avec le rachat de Nobi Nobi ! et le lancement en mai de mangas Disney (La belle et la bête), Pika Romans pour prolonger les univers de la maison et Pika Graphic "passerelle vers la BD asiatique", selon Virginie Daudin, la directrice éditoriale. La collection qui avait accueilli des traductions du chinois aura des titres japonais en 2017.

Ki-oon lance aussi une nouvelle collection en mars, "Kizuna" ("le lien"), qui a pour but de sortir des segments traditionnels seinen/shojo ou kids pour proposer des séries à vocation universelle, grand public, pour tous les âges comme Bride stories ou Cesare qui, à défaut, étaient classées en seinen. "Kizuna" sera inaugurée par Reine d’Egypte, une fresque historique consacrée à Hatchepsout. Enfin, Kana travaille à prolonger la vie de ses séries par un travail de recrutement car, comme le lance Christel Hoolans, "en manga, quand une série est finie, elle est morte". "Nous essayons donc de garder une série sur la longueur pour en faire un classique comme Death note, Monster ou Naruto", précise la directrice éditoriale qui, pour les 20 ans de la maison en 2016, a privilégié une opération de recrutement avec la mise en vente des tomes 1 à 3 à 3 euros, entraînant une progression de 50 % du fonds.

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