Essai/France 2 mai Maurin Picard

Il est à peine une heure du matin ce 18 septembre 1961 lorsque le DC-6 Albertina vire au-dessus de l'aéroport de Ndola pour atterrir dans l'axe de la piste. L'avion ne se posera jamais en Rhodésie du Nord, aujourd'hui la Zambie. L'aéronef se crashe dans une forêt avec seize passagers à bord dont Dag Hammarsköld, le secrétaire général de l'Onu, le fameux « Monsieur H » qui devait rencontrer le président katangais Moïse Tshombé.

C'est le point de départ de l'enquête haletante menée par Maurin Picard. Car bien sûr, l'accident est douteux. D'autant que « Monsieur H » est retrouvé sur les lieux de la catastrophe un as de pique fiché dans son col de chemise comme pour signer un règlement de comptes. Mais pour le compte de qui ? Dans cette région minière que l'on nomme Copperbelt (la ceinture du cuivre), stratégique et turbulente après l'indépendance du Congo belge et l'assassinat de Patrice Lumumba, s'agitent des aventuriers, des espions, des affreux en tout genre qui ont tout intérêt à voir disparaître un homme de paix qui œuvre pour le bien-être des peuples plutôt que pour l'enrichissement des boutiquiers.

Mais les morfalous de la Copperbelt ne l'entendent pas de cette oreille, d'autant qu'ils sont discrètement soutenus par des Etats qui n'ont pas renoncé à leur poids politique. Dans les hôtels chics ou les bars glauques, on croise des agents de la CIA, des barbouzes français du SDECE, des mercenaires de Bob Denard, un aristocrate britannique et des cellules dormantes du MI 6. Le journaliste, auteur d'un ouvrage consacré aux Héros ordinaires de la Seconde guerre mondiale (Perrin, 2016), nous immerge dans ce crime presque parfait. « Monsieur H » fut sans aucun doute victime de ce qu'il appelle « la conjuration des opportunistes ». La liste de ces prédateurs attentistes figure en fin d'ouvrage et montre combien les démocraties nourrissent en leur sein leurs propres ennemis.

Par le style, la structure même de l'enquête que l'on déploie comme un document, on sent la moiteur du sujet, cette odeur âcre de décomposition qui vous assaille sous les effluves respectables de la diplomatie. On peut donc lire cet ouvrage comme un thriller avec ses témoins retrouvés, ses rebondissements et ses pièges, mais aussi comme un essai sur un temps peut-être pas si révolu où la vie d'un honnête homme ne pesait pas plus lourd qu'une larme.

Maurin Picard
Ils ont tué Monsieur H : Congo, 1961. Le complot des mercenaires français contre l’ONU
Seuil
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 23 euros ; 480 p.
ISBN: 9782021413663

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