2 mars > Roman Etats-Unis > William Finnegan

Ça lui a pris comme ça. Un après-midi ensoleillé des années 1960, à Ventura, sur la côte nord de Los Angeles, le petit William Finnegan, 10 ans, depuis la terrasse d’un "diner" où il est attablé avec ses parents, observe des surfeurs. "Ce n’étaient que des silhouettes en contre-jour, éclairées par un soleil bas, qui dansaient silencieusement dans cette lumière éblouissante, leurs planches pareilles à de grosses lames noires qui tranchaient l’océan ou glissaient sur ses vagues. […] Les vagues semblaient s’être échappées de quelque atelier céleste, leurs pointes scintillantes et leurs épaules effilées comme sculptées par les anges de l’océan." Il n’en faut pas plus pour qu’une vie bascule et ne se transforme en quête, en secret magnifique. Il faudra un demi-siècle à Finnegan, devenu entre-temps l’une des grandes plumes du New Yorker, pour faire enfin, son "coming-out" de surfeur et lui consacrer le plus beau des livres Jours barbares est le récit d’une passion et d’une éducation sentimentale. Lauréat du prix Pulitzer l’an dernier (catégorie biographie et autobiographie) et désormais traduit dans de nombreuses langues, c’est à Adrien Bosc, l’éditeur des éditions du Sous-sol, alerté par un article paru au préalable dans le New Yorker et qui était comme l’ébauche du livre à venir, que l’on doit sa découverte en France. Le plus magique dans Jours barbares, c’est la manière rêveuse et désordonnée dont il semble s’inventer et se réinventer à chaque page. C’est comme si, ayant entrepris précisément de s’atteler à son autobiographie de surfeur, relatant avec précision ses voyages partout autour du monde, ses rencontres, ses vagues, Finnegan avait fini par laisser advenir un autre sujet plus grave et plus mystérieux encore : quelque chose qui rôderait autour de l’obsession. Jusque très tard dans sa vie, jusqu’à ce que, peu ou prou, il devienne père, il se soumet avec passion au risque ou plus exactement, à un fantasme de disparition, de dissolution. Ce sont les pages les plus belles de ce livre, qui en compte tant et qui fait trop état de l’importance du style dans le surf pour ignorer un seul instant celle qu’il a en littérature, lorsque toute vie sociale, y compris celle des surfeurs entre eux, s’est enfin éloignée et qu’il ne reste plus qu’un homme, une planche, un océan et entre eux une vague, comme la réponse chaque fois différée à une réponse qu’il ignorait se poser. Une vague chaque fois différente, au Sri Lanka, à Hawaï, à Madère ou en Afrique du Sud et chaque fois semblable par son étrange séduction. Il n’est pas nécessaire d’avoir surfé pour considérer Jours barbares comme un grand livre ; il n’est pas inutile en revanche d’avoir un peu vécu ou d’en avoir rêvé. Olivier Mony

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