4 février > Essai Royaume-Uni

Il y a plusieurs façons d’écrire son autobiographie. Classiquement, on commence par le début et on termine par la satisfaction d’une vie bien remplie. Plus rarement - c’est évidemment celle retenue par Oliver Sacks (1933-2015) - on pose dans le désordre les pièces de son puzzle existentiel et on observe le rendu comme un peintre s’éloigne de sa toile pour voir si l’effet est bien là.

Ainsi, le célèbre neurologue commence par sa passion pour les motos, sa vieille BMW avec laquelle il a sillonné l’Ouest américain comme un cow-boy, lui le Britannique ayant fait ses études à Oxford. Et puis il revient sur son homosexualité et par deux fois sur la parole de sa mère qui lui dit "je regrette de t’avoir mis au monde !" après avoir eu connaissance de son orientation.

Sacks nous épate par sa sincérité. Il dit tout ou presque sur lui-même. Comme Rousseau dans ses Confessions, il ne veut rien cacher. Le but n’est pas le voyeurisme, mais de faire comprendre, d’abord sans doute à lui-même, son parcours, ses enthousiasmes, ses hésitations et cette empathie pour ceux dont le corps souffre et qu’il faut soigner.

On comprend pourquoi l’auteur de L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau (Seuil, 1988) fut tant apprécié. Dans ses récits cliniques, il parle avant tout des autres. Il s’intéresse à eux, à leur pathologie et tente de les soulager, ne serait-ce qu’en les nommant et en racontant leur histoire.

De fil en aiguille, de la Californie à New York, de rencontres en traitements, Sacks finit par publier régulièrement dans le New Yorker. Le médecin motard, haltérophile et nageur devient célèbre. Il fait alors partie des pointures de la vulgarisation scientifique comme Stephen Jay Gould, mais il reste bien seul avec ses envies, ses drogues et ses addictions.

Entrecoupé parfois de pages de son journal qu’il a longtemps tenu sur de petits carnets, ce récit qui avance par grands thèmes - les voyages, les amours, les recherches, etc. - se pose aussi comme un témoignage de la vie des années 1960-1980, un monde sans trop d’insouciance où l’on recherchait le plaisir à moindre coût. Oliver Sacks se souvient d’un conseil que lui avait donné le poète W. H. Auden à Oxford. "N’hésitez pas à aller au-delà de l’aspect clinique […]. Soyez métaphorique, soyez mystique, soyez tout ce qui vous semble nécessaire !" L’avis sera suivi. Tous les livres d’Oliver Sacks portent la marque de cet engagement auprès des malades à l’hôpital Beth Abraham de New York ou auprès des Petites Sœurs des pauvres.

Fasciné par les illusions, les hallucinations ou les manifestations bizarres comme celle du syndrome de Gilles de la Tourette, Oliver Sacks plonge avec délice dans les caprices du cerveau humain. Il donne même quelques conseils à Dustin Hoffman lorsqu’il se préparait à jouer un rôle d’autiste dans Rain man. En mouvement fait référence à On the move, un poème de Thom Gunn qu’Oliver Sacks a bien connu, dans lequel il est dit qu’on est toujours plus proche de soi en ne restant pas immobile. On ne saurait mieux dire. Laurent Lemire

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