DRM

Dans le livre numérique, tout part décidément des Etats-Unis, voire de Seattle : cette belle ville du nord de la côte Ouest abrite le siège d’Amazon, dans le quartier des affaires, mais aussi celui de Bluefire, petite entreprise de service au cœur des développements techniques du secteur depuis une dizaine d’années. Pas d’immeuble à façade de verre, mais une solide bâtisse en bois d’un étage, ancienne épicerie générale datant des années 1920, construite dans une banlieue aujourd’hui résidentielle, à dix minutes en voiture du grand ogre du livre, et tout près de la baie. "Nous sommes une douzaine, nous n’avons pas de dettes, l’entreprise nous appartient, elle est bénéficiaire", explique Micah Bowers, un de ses cofondateurs, invité à Paris à l’occasion des assises numériques du Syndicat national de l’édition, fin mars.

Sa société revend et gère pour le compte d’Adobe la licence d’ACS4, ce système de gestion de droits (DRM) qui verrouille les livres numériques, et dont l’usage soulève en France des polémiques proches de finir en guerre de religion. Aux Etats-Unis, la communauté du livre ne se pose pas tant de questions : c’est une solution pleine de défauts, mais qui rassure éditeurs et auteurs face au piratage. "Cette activité représente environ un quart de notre chiffre d’affaires", précise Micah Bowers, qui compte parmi ses clients Eden, la plateforme de distribution de livres numériques regroupant Gallimard, Flammarion, La Martinière et Actes Sud. Adobe utilise d’autres grossistes en DRM, également américains : Datalogics et Bsquare.

Propulsée dans l’écosystème des applications d’Apple (App Store) après le lancement de l’iPad qui lui apportait une diversification salutaire, Bluefire a pourtant dû se remettre en question lorsque Steve Jobs a soudain changé les règles du jeu. Alors que la petite entreprise achevait son application de lecture et de vente de livres numériques, qui ambitionnait de regrouper tous les fonds des e-librairies indépendantes, le patron d’Apple a décidé que chaque transaction réalisée sur un iPad devait se payer d’une commission de 30 %. C’est juste le montant maximal de la remise que les éditeurs consentent aux revendeurs d’ebooks. Il ne restait rien pour la rémunération d’une librairie dans l’App Store, et encore moins pour le règlement d’un prestataire.

 

Millions d’heures

 

"Nous sommes donc devenus fournisseurs d’application de lecture sur tablette, en marque blanche pour des chaînes de librairies ou des éditeurs, ce qui représente maintenant les trois quarts de notre chiffre d’affaires. Nous avons 42 clients dans le monde, dont Chapitre en France. Leurs clients ont activé 1,3 million de comptes sur IOS et 450 000 sur Android." Le volume de lecture se compte en millions d’heures par an. C’est aussi une masse d’informations considérable pour analyser les habitudes et les comportements des utilisateurs, via le kit de développement (SDK) Marketing Cloud Solutions d’Adobe.

A l’origine du célébrissime PDF, la technologie d’Adobe domine toujours le livre numérique, bien que ses dirigeants ne lui accordent plus grande attention. "Ils croyaient que le livre numérique allait décoller au début des années 2000, ce qui n’est pas advenu, et ils ont estimé que ce n’était pas la peine de s’obstiner."

Quand le marché est parti, ils ont fait appel à des sous-traitants, dont Bluefire, pour réaliser une partie des développements nécessaires. "Nous avons travaillé à l’élaboration d’Adobe Digital Edition (ADE), qui a été la première application de lecture numérique, et la seule disponible au début de l’ePub. Un succès fantastique, Barnes & Noble, Kobo, Google aussi pour certains aspects, l’ont utilisée." Dans les réorganisations permanentes qu’Adobe a infligées à ses troupes, l’équipe du livre numérique, dirigée par Bill McCoy, maintenant directeur de l’IDPF (le consortium qui définit la norme de l’ePub), s’est trouvée dispersée. Ce département est aujourd’hui rattaché à l’équipe chargée de l’e-learning, délocalisée en Inde. Un éloignement et une méconnaissance du monde du livre qui expliquent le récent couac concernant le lancement d’une nouvelle DRM.

Bien avertie des nombreuses plaintes concernant ACS4, particulièrement des éditeurs de manuels scolaires et universitaires, la nouvelle équipe a développé un système nouveau et renforcé, qu’elle souhaitait installer très vite. "Mais la proposition faite au cours d’une réunion interne a été filmée, la vidéo a été postée sur Internet et a soulevé une tempête de protestations. Les mises à jour des applications n’auraient jamais été prêtes, les lecteurs perdaient l’accès à leurs ebooks, c’était inenvisageable, et Adobe a fait immédiatement machine arrière." L’épisode a renforcé la motivation de Bluefire à participer activement au kit de développement de Readium, base de futures applications de lecture qui ne dépendront plus d’Adobe et d’une nouvelle DRM. Un long travail, qui devrait aboutir d’ici à dix-huit mois. <

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