Avant-critique Roman

Vanessa Schneider, "La peau dure" (Flammarion)

Vanessa Schneider - Photo © Jean-Philippe Baltel/Flammarion

Vanessa Schneider, "La peau dure" (Flammarion)

La journaliste et romancière Vanessa Schneider restitue le portrait complexe de son père, l'écrivain Michel Schneider mort en 2022, et à travers lui, celui d'une génération aussi libre qu'égoïste.

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Par Sean Rose
Créé le 03.07.2025 à 14h00

Le puzzle paternel. Dans Morts imaginaires, Michel Schneider avait brossé des portraits d'écrivains à partir de leur ultima verba, célèbres « dernières paroles » bien souvent apocryphes mais où se cristallisent comme dans un précipité leur œuvre et leur vie. De bons mots, l'écrivain et psychanalyste auteur de Marilyn, dernières séances n'en manqua lui-même pas. Au crépuscule de son existence, il demande à sa fille Vanessa, journaliste et également essayiste et romancière, de trier ses papiers. Au cours d'une visite de l'autrice de ce présent livre La peau dure - une longue adresse au père -, Michel Schneider lâche : « Nous sommes la seule génération à avoir tué à la fois le père et le fils. » Vanessa Schneider fut « clouée » par la saillie, à la fois d'« une monstruosité assumée » et d'« une effroyable lucidité ». Elle sut ce jour-là qu'elle allait écrire sur son brillant géniteur. Et la fille née en 1969 d'approfondir la réflexion d'un père né en 1944.

Dans La peau dure, en même temps qu'elle creuse la complexe personnalité paternelle, Vanessa Schneider fait le tableau de ladite génération des baby-boomers à laquelle appartint son père. En 1981, avec l'arrivée de la gauche au pouvoir, « les soixante-huitards avaient désormais l'esprit libre pour dynamiter les carcans idéologiques [...]. L'heure de la jouissance était venue : ils profitaient de la liberté sexuelle sans rien lâcher sur le patriarcat et la domination masculine. » Dans l'entreprise, au sein du foyer (chez les Schneider compris).

Le naguère maoïste (l'autrice voit pour la première fois pleurer son père à la mort de Mao) dénigre « les lycéens bas du front » qui manifestent contre le projet de loi Devaquet prévoyant une sélection à l'entrée de l'université. Plus tard, il fustige dans articles et essais le « socialisme moral », le PACS, l'homoparentalité, la « confusion des genres »... Père et fille n'abordent plus la politique mais c'est la question littéraire qui fâchera Vanessa avec son père, lequel vit très mal que sa fille écrive elle aussi. Avant son décès en 2022 des suites d'un cancer, Michel Schneider reconnaîtra finalement le statut d'« écrivain » (sic) à l'autrice de Tu t'appelais Maria Schneider (Grasset, 2018) sur l'actrice du Dernier tango à Paris de Bertolucci, la nièce de Michel. Né dans une « famille foutraque » - mère de la haute bourgeoisie roumaine, mélancolique ; père homosexuel, d'une famille de brasseurs alsaciens -, ce fils illégitime, grand séducteur, désirant inconsciemment être « délivré des femmes », était un homme en colère, rongé par sa « honte d'être bâtard », et en « douloureuse quête d'identité »... Vanessa Schneider rend à travers ce puzzle en forme de livre un hommage au père à la peau dure. Un puzzle où, s'il est encore des pièces manquantes, c'est que l'absence et le mystère sont constitutifs de ce portrait lucide et tendre.

Vanessa Schneider
La peau dure
Flammarion
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 20 € ; 230 p.
ISBN: 9782080441423

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