Littérature italienne

Veronica Raimo, «La fille à la porte» (Buchet Chastel) : Trauma 215

Veronica RAIMO - Photo © Alessandro Imbriaco

Veronica Raimo, «La fille à la porte» (Buchet Chastel) : Trauma 215

Dans une communauté utopique, un homme accusé de viol et sa compagne font face à leurs juges. Un roman trouble de l'Italienne Veronica Raimo. Tirage à 3000 exemplaires.

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Par Véronique Rossignol,
Créé le 05.05.2021 à 20h16

C'est une histoire pleine d'ambiguïté, de zones grises, de sentiments tortueux, de loyautés invisibles. Un roman froid et cru, singulièrement trouble, qui dépeint de l'intérieur la mécanique enclenchée par une accusation de viol au sein d'une communauté utopique futuriste. L'Italienne Veronica Raimo, dont c'est le premier roman traduit en français, y fait tenir tous les questionnements très contemporains autour de la violence sexuelle, du consentement, des lois obscures du désir. Mais l'originalité du livre réside dans la transposition de ces problématiques dans une sorte de société idéale et dans les récits parallèles de l'homme accusé et de sa compagne enceinte, victime collatérale.

Miden, île en autarcie, soumise à des règles de comportements et de justice qui sont censées garantir une cohésion harmonieuse, tient un rôle déterminant. Ses citoyens, même s'ils sont étrangers comme c'est le cas du couple qui a quitté « le Pays » après « l'Effondrement » pour rejoindre cette bulle où l'on parle « la langue internationale », sont tenus d'adhérer au « Rêve de Miden ». Alors, quand une jeune femme vient trouver chez elle la compagne de son ancien professeur et dénoncer des abus sexuels répétés de la part de celui avec qui elle a eu une relation deux ans plus tôt, l'affaire, classée dans la catégorie « TRAUMA N°215 », devient publique. Elle est instruite par l'une des nombreuses commissions régissant la vie de la collectivité. Si la culpabilité est établie, l'homme qui enseigne la philo dans une académie d'art sera banni. Dans La fille à la porte, aucun des protagonistes, dont les témoins appelés à répondre dans le cadre de l'enquête à des questionnaires évaluant la responsabilité de l'accusé, n'a d'autre identité que son statut : « le tuteur » qui a accueilli le professeur à son arrivée, « la monitrice de natation », « la professeure de photographie »... Mais « le professeur » se sent-il coupable lorsqu'il se remémore la relation qui l'a lié à son accusatrice ? Et comment sa compagne, devenue « la compagne du violeur », jamais véritablement intégrée à la communauté, affronte-t-elle l'exposition brutale de leur vie ? Souvent, leurs récits laissent poindre de l'ironie devant ce modèle social vertueux où l'intimité est soumise au contrôle du groupe. Leur double voix donne sa tonalité provocatrice à cette épreuve de vérité où les deux, chacun de leur côté, plongent dans l'opacité de leur libido et de leurs attachements. Chez la compagne, la question « Connaît-on vraiment la personne que l'on aime ? » devient « Aime-t-on vraiment la personne que l'on connaît ? » : un des multiples dilemmes soulevés par ce roman intrigant.

Veronica Raimo
La fille à la porte Traduit de l'italien par Liliane Guillard
Buchet Chastel
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 19 € ; 224 p.
ISBN: 9782283033029

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