Comme c'est mystérieux, la disparition d'un romancier. Au tournant de ce siècle, en quatre romans, du Métier dans le sang (Fayard, 1996) à La déposition (Stock, 2002), Gilles Pétel avait su imposer un univers profondément intrigant où le réel était comme déréglé par les intimes dérangements du désir, des voyages, du flou des identités. Depuis, plus rien. Aussi est-ce avec plaisir qu'on accueille ce Sous la Manche, roman d'un retour trop longtemps différé. On y retrouve, inchangée, la musique des livres précédents de Pétel. Son héros, Roland Desfeuillères, est un flic, la quarantaine réglementairement lasse, marié depuis plus de dix ans à une Juliette avec qui le seul plaisir commun qu'il leur reste est celui de se laisser aller. Un jour, ou plutôt une nuit, où Roland doit faire face à l'échec patent de son mariage, il est appelé gare du Nord pour constater l'assassinat dans un wagon d'Eurostar d'un ressortissant britannique.
John Burny avait 45 ans. Cet Ecossais, installé à Londres, agent immobilier, aux revenus plutôt élevés, menait une vie de patachon, entre rencontres d'un soir entre garçons et week-ends de détente à Paris ou à Bruxelles. Sa mort, alors qu'il était passager d'un train qu'il n'aurait pas dû prendre, demeure inexpliquée. Menant l'enquête, Roland va se retrouver peu à peu face à lui-même, à ses secrets inavoués, à sa ressemblance avec cet homme dont les modes de vie étaient apparemment si éloignés des siens.
Gilles Pétel dévide son écheveau narratif faussement inoffensif avec une maestria qui ne se dément jamais. C'est au fond l'histoire de deux hommes morts, qui raconte comment la mort de l'un va ramener l'autre à la vie. Bien entendu, plus que le crime ou le désir, les véritables abîmes sont ici ceux du quotidien. Et il n'y a pas de remède pour s'en prémunir.

