Essai/France 18 septembre Sabine Melchior-Bonnet

« La rupture amoureuse est presque toujours un rapport de force. » La violence y est quelquefois extrême comme chez Héloïse et Abélard. C'est le premier des vingt cas étudiés par Sabine Melchior-Bonnet jusqu'à celui de Lady Di et du prince Charles. Du XIIe au XXe siècle, chacun vient illustrer une thématique de la rupture, qu'il s'agisse du divorce « inventé » par Henri VIII ou de la séparation civile par les amants de l'An II. Avec la justesse de ton qui convient à ce genre de désastre intime, l'historienne revient sur quelques grandes affaires de cœur : Napoléon et Joséphine, Alexandre Pouchkine et Nathalie Gontcharova, Alfred de Musset et George Sand, Franz Liszt et Marie d'Agoult, Simone de Beauvoir et Nelson Algren, ou encore Maria Callas qui ne se remit pas du départ d'Aristote Onassis pour Jackie Kennedy qui le voyait « beau comme Crésus ».

On le voit, le champ d'investigation est vaste, et on sait combien il est difficile d'accéder aux émotions du passé. La tentation est grande de calquer les sensibilités d'hier sur celles d'aujourd'hui. Sabine Melchior-Bonnet évite cet anachronisme sentimental dans cette approche très convaincante de la déchirure amoureuse à laquelle elle ajoute le plaisir de lecture. « Chaque époque construit ses valeurs et ses normes affectives. » Bien souvent, jusqu'à l'émancipation des femmes et des corps, l'amour est sacrifié sur l'autel de l'honneur. Car la rupture s'envisage aussi comme un enjeu social dans lequel les individus finissent par être engloutis dans le collectif.

Ce sont souvent les hommes qui prennent la décision de la séparation, le droit ancien et le Code civil de 1804 imposant à l'épouse l'obéissance. Mais, comme dans toutes les règles, il y a des exceptions. Catherine II de Russie a fait avec ses amants comme les rois ont fait avec leurs maîtresses, bien qu'elle ait eu de la peine à se passer de Grigori Potemkine.

« Il y a dans le naufrage de l'amour et les larmes de la rupture un séisme qui modifie le sentiment de l'existence et qui submerge le corps, allant jusqu'à rompre toute possibilité de sociabilité. » De l'amour il ne reste que les vestiges comme dans les tableaux d'Hubert Robert. « Cela ressemble à la mort, et cela est pire », écrit Julie de Lespinasse à son amant parti. « Ah que vous me faites mal ! Que j'ai besoin de ne plus vous voir ! » Qu'en termes galants ces blessures sont dites.

De nos jours, on compte un divorce pour trois mariages, un pour deux dans les zones urbaines. Désormais, Internet permet à chacun de faire son marché d'un « glissement de doigt ». On choisit son conjoint comme son panier bio, on est vigilant sur la traçabilité du sexe, on exige de la transparence en pensant qu'elle supprimera les obstacles. « Comme une toile trop tendue, l'amour finit par se rompre. » Il faudrait donner du mou au sexe, ce qui peut paraître paradoxal dans un monde où la compétition s'avère plus dure et où la peur de décevoir se transforme en peur d'aimer. Sabine Melchior-Bonnet, qui complète ici logiquement l'Histoire du mariage publiée en 2009 avec Catherine Salles (« Bouquins »/Laffont), ne voit pas pour autant le couple comme un héritage du passé aujourd'hui dépassé. C'est même sans doute à la lumière de ces ruptures amoureuses d'hier qu'il est possible de mieux comprendre les déchirures du présent.

Sabine Melchior-Bonnet
Les revers de l'amour : une histoire de la rupture
PUF
Tirage: NC
Prix: 22 euros ; 480 p.
ISBN: 9782130818502

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