Entretien

Fondée en 1996 par Yves Jolivet, Le mot et le reste se développe autour de deux axes majeurs : la traduction de l'œuvre de Henry D. Thoreau et la musique. Avec plus de 220 titres consacrés à l'histoire et aux analyses musicales, cette structure indépendante prend le parti d'être « l'éditeur de toutes les musiques ».

Quelles sont les principales similitudes entre le monde du livre et celui de la musique ?

Comme dans l'édition, on observe un phénomène de concentration dans l'industrie musicale. Les majors se déploient en rachetant d'autres marques. Actuellement, Universal - qui appartient à 80 % à Vivendi, qui est aussi propriétaire d'Editis et premier actionnaire d'Hachette -, Sony et Warner s'approprient environ 80 % du marché mondial. Ce qui n'empêche pas les labels indépendants d'être nombreux. Certains, comme Wagram, Pias ou Because, défendent des musiciens au succès avéré à l'image de Vianney chez Tôt ou tard, dont les ventes du second album ont dépassé 500 000 ventes, en incluant les ventes numériques. Il existe aussi un certain nombre de labels spécialisés dans des thématiques musicales de niche. Ils sont à l'abri des multinationales par défaut puisque leur économie est a priori peu rentable. De nombreuses structures indépendantes, comme Born Bad ou Souffle continu, travaillent avec abnégation à rendre visibles des musiciens au talent avéré. Les labels indépendants sont cependant concurrencés dans la niche des collectionneurs de vinyle ou la réédition de fond de catalogue. Par exemple, Rhino, spécialiste des rééditions exhaustives de fond historiques, appartient à Warner.

Et les principales différences entre ces deux milieux ?

Il existe deux différences notables. Pour lire, nous n'avons pas trouvé mieux que le livre physique, ce qui pourrait sembler archaïque mais dont la forme est parfaite. Le livre est difficilement vendu en numérique, dont le chiffre de ventes tourne en moyenne à 3 % du chiffre d'affaires d'un éditeur français. Ensuite, nous avons en France la loi Lang, qui contraint les structures comme Amazon à vendre les ouvrages à un prix similaire que celui vendu chez les libraires indépendants. En ce qui concerne le milieu de la musique, le streaming a fait chuter de façon dramatique les revenus des musiciens et la situation est très compliquée économiquement, d'autant plus qu'il n'y a plus de concerts depuis une année. Certains musiciens sont donc amenés à céder les droits d'exploitation de leurs chansons, comme Bob Dylan récemment, à Universal Music.

Les labels indépendants sont-ils seulement concurrencés par les majors de l'industrie musicale ?

La majorité de la musique que nous écoutons est produite à partir d'ordinateurs et de logiciels, sans mise de fonds importante, contrairement à l'époque où il fallait passer par un studio d'enregistrement. Par ailleurs, les ventes se font pour l'essentiel en numérique et là aussi, il n'y a plus la nécessité de faire des disques, les stocker et les expédier à des disquaires qui se sont raréfiés drastiquement. La tentation est grande pour les musiciens de devenir autonomes. Le rappeur Jul a par exemple lancé en 2015 son label indépendant. Cela rappelle Joël Dicker qui a annoncé créer sa propre structure éditoriale. Ce phénomène peut s'accélérer avec la crise sanitaire. Depuis un an, le spectacle vivant est à l'arrêt. Sans concerts et merchandising derrière, c'est-à-dire la vente de CD ou de tee-shirts, les artistes ont moins de visibilité et n'ont plus de rémunération. Il est donc possible que certains d'entre eux fassent le choix de récupérer leurs droits et de s'autoproduire puisqu'ils ne voient rien arriver et qu'ils ne sont plus rémunérés.

L'indépendance est valorisée dans ces deux milieux ?

L'indépendance est valorisée et glorifiée. Dans les années 1990, la formule du « rock indé » portait en elle le discours d'être contre quelque chose. C'est une valeur symbolique qui donne l'impression que si on veut être rebelle, il suffit d'avoir les livres et les albums qui reflètent cet état d'esprit. La France a toujours été très romantique, nous n'aimons pas les gagnants ou l'idée de se faire de l'argent, mais on adore être des trublions à la marge. La culture a toujours adoré les outsiders. C. L.

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