Essais et documents

Dossier Rentrée Essais et documents 2019: un renouveau stimulant

L'Europe vue de l'espace. - Photo Needpix/Domaine public

Dossier Rentrée Essais et documents 2019: un renouveau stimulant

Urgence climatique et environnement, traitement du monde animal, intelligence artificielle, examen moral de l'Eglise et analyse du mouvement des « gilets jaunes » s'afficheront dans les vitrines et sur les tables consacrées aux essais et documents dans les librairies à la rentrée, à côté de l'école et de l'enseignement, incontournables à cette période de l'année.

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Par Hervé Hugueny
Créé le 12.07.2019 à 18h05

La rentrée 2019 des essais et documents sera marquée par un certain renouvellement autour de sujets de société qui ne faisaient pas jusqu'alors l'objet d'autant de publications : le développement et les conséquences de l'intelligence artificielle, notre comportement à l'égard du monde animal, et l'examen de l'Eglise par elle-même ou sous un regard extérieur critique représentent ainsi une trentaine de titres parmi les 257 ouvrages à paraître d'août à octobre que nous avons retenus dans notre sélection bibliographique (p. 71).

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Au vert

Le climat et l'environnement, qui figurent depuis longtemps en bonne place dans ce secteur d'analyse et de réflexion, irriguent maintenant tous ses rayons, incitant à penser que le vieux slogan affirmant que « tout est politique » devrait lui aussi être recyclé en « tout est écologique ». La politique au sens strict est d'ailleurs réduite à la portion congrue, presque exclusivement composée d'essais condamnant l'action du président de la République. Résultante de celle-ci, le mouvement des « gilets jaunes », déjà traité à chaud au premier semestre, reste un thème important de cette rentrée, qui consacre aussi quelques titres aux municipales à venir, au printemps 2020. Autre thème dominant dans cette liste par ailleurs très éclectique, l'école est bien sûr incontournable à cette période.

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En volume, sous réserve de mises à jour supplémentaires d'Electre Data Services (1), à fin juin la production s'inscrivait en retrait par rapport à la même période de l'an dernier, avec 2 800 titres enregistrés dans les catégories essais, documents, enquêtes, investigations et témoignages. En ventes, les essais et documents ont fait moins bien que la moyenne au premier semestre 2018, mais mieux au second. Les seules meilleures ventes d'essais de l'année, à 90,3 millions d'euros (Livres Hebdo/GFK), ont fléchi de 3 %, à comparer au recul tous secteurs de 11 % de l'ensemble des meilleures ventes, tous secteurs confondus. Les essais et documents restent le deuxième poste des meilleures ventes avec 15 % du total, et ont mieux résisté que la littérature, dont la rentrée a été décevante. Ils sont portés par quelques best-sellers à la durée exceptionnelle (La vie secrète des arbres aux Arènes, Homo Sapiens et ses suites chez Albin Michel) mais même sans ces titres les ventes restent bien supérieures aux quelque 70 millions d'euros enregistrés au début des années 2010.

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A l'instar des programmes politiques presque tous « verdis » lors des élections européennes fin mai, l'écologie traverse quasiment tous les secteurs de l'édition. L'anthropologue Philippe Descola décrit Une écologie des relations (CNRS éditions), Franck Dubois propose un traité d'écologie religieuse dans Pourquoi les vaches ressuscitent-elles (probablement) ? au Cerf ; Khaled Bentounès et Philippe Roch font le lien entre Soufisme et écologie (Jouvence), et l'éditeur universitaire Quae publie un petit essai de vulgarisation sur Les mondes de l'agroécologie (Thierry Doré et Stéphane Bellon).

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Plus globalement, l'économiste et altermondialiste membre d'Attac Geneviève Azam adresse une Lettre à la Terre (Seuil) tandis que Massot éditions demande Qu'arrive-t-il à notre planète ? dans un livre de conversations entre le dalaï-lama et « de grands penseurs sur l'écologie, l'éthique et l'interdépendance ». Le Courrier du livre liste l'essentiel dans 3 minutes pour comprendre 50 composantes essentielles du climat (Joanna D. Haigh). Sandrine Aumercier interpelle ses lecteurs : Tous écoresponsables : sommes nous des pollueurs inconscients ? (Libre & Solidaire) et les éditions de l'Atelier pointent les conséquences de la surconsommation occidentale dans les pays qui n'en subissent que les inconvénients dans Le piège de l'abondance : l'écologie populaire face à l'extractivisme en Amérique latine. Les racines de cette économie du gâchis sont anciennes, comme le montre Allia qui exhume un essai publié en 1932 défendant le renouvellement permanent des objets (Bernard London, L'obsolescence programmée des objets). Judith Rochfeld demande Justice pour le climat ! (Odile Jacob). Aux Presses des Mines, un collectif (Sophie Bretesché, Cyrille Harpet, Sylvie Ollitrault, Valérie Hequet) étudie Le risque environnemental : entre sciences physiques et sciences humaines.

C'est la forêt qui brûle : penser la nouvelle catastrophe écologique sonne le tocsin à propos des « mégafeux », signe d'un dérèglement climatique (Joëlle Zask, Premier Parallèle), et l'Indonésien Iwan Asnawi dresse le constat des ravages environnementaux causés par la dictature militaire dans son pays (L'esprit de la jungle, Puf). Plus proche, à Toulon, Henry Augier revient sur Le livre noir des boues rouges avec un collectif d'auteurs (Renée Dubout, Christian Guillaume, Michel Mazzoleni et al., Livre & Solidaire). A propos des atteintes à l'environnement, Stéphane Foucart désigne les coupables dans Et le monde devint silencieux : comment l'agrochimie a détruit les insectes (Seuil). Sur le même sujet, Fabrice Nicolino publie son travail chez Les Liens qui libèrent (Le crime est presque parfait : l'enquête choc sur les pesticides et le SDHI). Chez le même éditeur, l'ancien ministre de l'Environnement Yves Cochet prédit la fin de la société industrielle dans un essai de collapsologie : Effondrement : 2020-2050. Un collectif de dirigeants rassemble ses réflexions et interrogations sur l'avenir dans Trans-mutation : mutation ou effondrement : quel récit pour le XXIe siècle ? (Marque belge éditions).

Intelligence

Hervé Le Guyader propose des solutions dans Biodiversité : le pari de l'espoir (Le Pommier) et le géologue Alain Foucault rappelle le rôle du Soleil et de la géologie dans La contrainte climatique : passé, présent, conditionnel (Omniscience). Climatosceptique assumé, L'Artilleur canarde résolument tout ce qui l'échauffe et publie Patrick Moore, qui livre ses Confessions d'un repenti de Greenpeace : pour une écologie scientifique et non politique. Chez le même éditeur, Christian Gérondeau affirme que L'air est pur à Paris... et partout ailleurs en France. Chez Champ Vallon, le philosophe Christian Godin explique quant à lui La haine de la nature.

Plusieurs ouvrages expriment la prise de conscience de l'indifférence de l'Homme aux autres manifestations de vie que la sienne. Dominique Lestel s'efforce de renverser le point de vue habituel de l'humanité en affirmant que Nous sommes les autres animaux. Arthaud publie un Atlas du trafic des animaux sauvages, établi par l'association Robin des Bois. Pierre Rigaux, préfacé par Nicolas Hulot, ancien ministre de l'écologie, exige qu'il n'y ait Pas de fusil dans la nature : les réponses aux chasseurs, qu'il accuse de commettre un désastre écologique (Humensciences). L'association L 214, en guerre contre les traitements indignes dans les abattoirs, explique les nécessités de son action (Quand la faim ne justifie plus les moyens, Les Liens qui libèrent). Jocelyne Porcher voit les raisons de cette maltraitance dans l'organisation économique de la société, dont elle demande le changement total dans Cause animale, cause du capital (Le Bord de l'eau). Fabienne Crettaz von Roten écrit l'histoire de l'Expérimentation animale : analyse de la controverse de 1950 à nos jours (Livreo-Alphil).

Autre sujet abondamment traité, l'intelligence artificielle pourrait apparaître comme une des solutions à ces problèmes, mais elle laisse les éditeurs partagés. C'est un élément de progrès pour Chantal et François Cazals (Intelligence artificielle : l'intelligence amplifiée par la technologie, De Boeck Supérieur), et pour Hervé Cuillandre (Après l'intelligence artificielle et la robotisation : préparer le monde de demain, Maxima Laurent du Mesnil). Dans Les robots émotionnels,à L'Observatoire, Laurence Devillers recommande une formation à l'usage de ces machines dont le fonctionnement embarque aussi de l'intelligence artificielle. En revanche, Marie David et Cédric Sauviat se prononcent Contre l'intelligence artificielle (Rocher), alors que Richard Urwin en donne une présentation plus neutre (Intelligence artificielle : à la recherche de la machine pensante, Grenelle), de même que Rodolphe Gelin et Olivier Guilhem (L'IA et nous, Le Pommier), Dominique Lambert (La robotique et l'intelligence artificielle, Fidélité), Bertrand Braunschweig (L'intelligence artificielle : passé, présent, futur, Presses universitaires de Bordeaux). Kai-Fu Lee, ancien président de Google China, y voit un enjeu de pouvoir déjà tranché dans IA : la plus grande mutation de l'histoire : pourquoi la Chine est devenue n° 1 de l'intelligence artificielle et pourquoi nos vies vont changer (Les Arènes).

Très irrité par les tracas quotidiens créés par les nouvelles technologies, Cyprien Cini affirme sans détour que Les ordinateurs sont très cons ! (Albin Michel). La contagion menace les jeunes humains, ajoute Michel Desmurget dans La fabrique du crétin digital : les dangers des écrans pour nos enfants (Seuil). Manoush Zomorodi prône une solution simple : L'ennui vous sauvera : déconnecter des écrans pour se reconnecter à la vie (Massot éditions), et Frédéric Bordage recommande aussi un usage raisonné (Numérique : pour une sobriété heureuse, Buchet-Chastel).

Au-delà, certains auteurs questionnent le fonctionnement de notre univers numérique, tel Félix Tréguer dans L'utopie déchue : une contre-histoire d'Internet (XVe-XXIe siècle), publié chez Fayard. Le même éditeur programme aussi Philippe Delmas, qui démonte le pouvoir d'Un despote implacable et doux : la révolution numérique. Encore plus alarmés, Lauren Boudard et Dan Geiselhart brossent des portraits inquiétants dans Les possédés : comment la nouvelle oligarchie de la tech a pris le contrôle de nos vies (Arkhê). En revanche, pour Gilles Lecointre, cette révolution technologique est porteuse d'un meilleur avenir économique et social (L'après-capital : le capitalisme se meurt, vive la social-économie, L'Archipel).

Pourpre cardinalice et « gilets jaunes »

Déjà évoqués dans l'édition, les scandales à répétition dans l'Eglise suscitent d'autres analyses, qui viennent plutôt d'éditeurs de la mouvance chrétienne. Eric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims et président de la Conférence des évêques de France expose dans une série d'articles L'Eglise face à ses défis (CLD éditions), tandis que le père Cédric Burgun explique ceux de ses servants (Prêtre envers et malgré tout ? Cerf). Jacques Laurentie émet Un autre son de cloche : l'Eglise n'est pas ce que vous croyez, chez Téqui. Ed Shaw, pasteur du centre Emmanuel de Bristol, souhaite un accueil chrétien des homosexuels, qu'il prêche dans L'Eglise et l'attirance homosexuelle : mythes et réalités (éditions Ourania), et l'ancien séminariste Gaëtan Poisson confesse son expérience dans L'homosexualité au risque de la foi : le témoignage d'un gay qui défend l'Eglise (Téqui). Nicolas de Brémond d'Ars exhorte les croyants à se souvenir d'un moment de renouveau : Catholiques, rouvrez les fenêtres : souvenirs de prêtres qui ont vécu Vatican II (L'Atelier). Nicolas Senèze explique l'origine des tensions réactionnaires qui s'y opposent (Comment l'Amérique a voulu changer le pape, Bayard). L'Eglise en procès : des origines à nos jours replace la crise récente dans le long terme (direction Jean Sévillia, Tallandier) et Rodney Stark fait un sort aux Faux témoignages : démystifier plusieurs siècles d'histoire anticatholique (Salvator).

Le mouvement des « Gilets jaunes », qui mobilise encore quelques milliers de manifestants chaque samedi, continue d'être analysé dans l'édition, entre autres par Laurent Jeanpierre (In girum : les leçons politiques des ronds-points, La Découverte), Pascale Fautrier (La vie en jaune : chronique d'un soulèvement populaire, Au Diable vauvert), un collectif aux éditions de l'Asymétrie (Une saison jaune : abécédaire critique). Dans Fly rider, gilet jaune, Maxime Nicolle à l'état civil donne son témoignage, préfacé par Juan Branco, par ailleurs auteur de Crépuscule (Au Diable vauvert-Massot éditions), réquisitoire anti-Macron et pro « gilets jaunes », toujours dans les meilleures ventes trois mois après sa publication. Ingrid Levavasseur, autre figure du mouvement, violemment récusée quand elle a déclaré son intention de conduire une liste aux élections européennes, relate aussi son parcours, chez Flammarion (Rester digne). Pour répondre aux revendications exprimées, Dominique Bourg, tête de liste d'Urgence écologie aux Européennes, se prononce Pour une véritable révolution de la démocratie (Les Liens qui libèrent). Le politologue Luc Rouban voit dans ce malaise social La matière noire de la démocratie (Presses de Sciences po). Le pamphlet de Raphaël Kempf dénonce une répression démesurée qu'il replace dans un contexte historique (Ennemis d'Etat : les lois scélérates, des anarchistes aux terroristes, La Fabrique). En examinant les statistiques, Denis Olivennes juge que les Français méconnaissent leur bonheur, et estime qu'il suffirait d'arrêter de surtaxer les classes moyennes pour ne plus avoir besoin de matraquer des émeutiers (Le délicieux malheur français, Albin Michel).

Problèmes scolaires

Thème obligatoire de la rentrée, l'école s'attire à nouveau son lot de publications inquiètes, ou confiantes. Philippe Champy, ancien directeur de l'éditeur scolaire Retz, affirme que l'Education nationale se dirige Vers une nouvelle guerre scolaire (La Découverte) à cause de la réforme du lycée mise en œuvre en septembre. Michel Fize décrit L'école à la ramasse : l'éducation nationale en faillite (L'Archipel), constat partagé par Marion Armengod (Ils ont tué l'école, Seuil) et Laurence de Cock (Ecole, Anamosa), sans être forcément d'accord sur les causes ou les remèdes. Selon un collectif d'enseignants et de chercheurs, ils ne sont pas à chercher dans les nouvelles technologies (Critiques de l'école numérique, L'Echappée). Pour Moïna Fauchier Delavigne et Matthieu Chéreau, il faut placer L'enfant dans la nature (Fayard). Jacques-Benoît Rauscher examine l'organisation des classes préparatoires aux grandes écoles (Des enseignants d'élite, Cerf), Sylvain Wagnon est didactique dans Quelle école pour mon enfant ? Tour d'horizon des pédagogies alternatives (Mardaga), et Juliette Perchais prévient que Montessori ne sauvera pas vos enfants (Kero). Enthousiastes, Adèle Monti et Hervé Bernard lancent Osons l'école ! Plaidoyer pour une école audacieuse (Editions universitaires de Dijon). Guillemette Faure et Louise Tourret découvrent que la connaissance du système scolaire est utile (Les enfants du mammouth : le secret des enfants de profs, Les Arènes). La féministe américaine Bell Hooks affirme pour sa part qu'il faut Apprendre à transgresser : l'éducation comme pratique de la liberté (Syllepse). Le débat promet d'être animé si elle croise sur un plateau de télévision Pierre-Henri d'Argenson, qui publie au Cerf un Petit traité d'éducation conservatrice.

A l'évidence, ce monde gouverné en général par l'homme (sans majuscule) ne tourne pas rond selon la plupart de ces ouvrages. Les solutions simples existent pourtant, et elles fonctionnent plutôt bien, affirme Heide Goettner-Abendroth dans Les sociétés matriarcales : recherches sur les cultures autochtones à travers le monde,publié chez Des femmes-Antoinette Fouque. Mais les fauteurs de troubles ne sont pas irrécupérables selon l'historien Ivan Jablonka, qui définit Des hommes justes : du patriarcat aux nouvelles masculinités, au Seuil. W

(1) Voir LH 1201 du 18/1/19, p. 29.

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