Récit

Longtemps que l'on n'avait pas eu des nouvelles d'Alain Turgeon. Depuis 2011 environ, date de la parution d'Anamoureux préparturient (La Fosse aux Ours). Plaisir donc de retrouver le quinquagénaire québécois naturalisé lyonnais, en grande forme, du moins littérairement parlant. Parce que côté santé, ces dix dernières années, ça n'est pas allé très fort. « Je suis devenu un alcoolo très efficace mais initialement, je n'y connaissais rien. » Après avoir atteint le rythme d'un litre de vodka par jour « à peu près » pendant quatre ans, l'écrivain buveur, remarqué la première fois avec Gode blesse (Michalon, 1997), s'est donc résolu à suivre une cure de cinq semaines dans un centre de traitement en addictologie - « en accrologie », préférerait-il qu'on dise. Au programme du sevrage en compagnie d'autres « bucoliques » : des groupes de parole, des séances de sophrologie et des entretiens avec différents psys, médecins qui de manière générale lui inspirent plus de méfiance qu'autre chose.

Il y a en tout cas un peu de boulot pour remettre sur les rails la vie de ce « littéraire de formation scientifique, ingénieur même », divorcé et père d'un garçon et d'une fille. Dépression, lourds passifs intimes, ruptures, sabotage de tout plan de carrière..., le compte rendu détaillé a de quoi désespérer. Mais la façon dont Turgeon raconte - franchise débridée, sens de l'absurde - est très drôle. Car cette traversée de la déroute où on le suit au Québec dans une quête d'identité improvisée, traversant la France pour enterrer le chat congelé d'une amie ou jouant (mal) le rôle du Père Noël, est écrite dans cette langue orale et pleine d'accent qui est sa marque et sert une lucidité sans merci. Même si lui prétend ne pas voir toujours très clair dans son « faible intérieur » : « Je ne me comprends même pas moi-même. Et c'est d'ailleurs une des grosses raisons qui m'ont poussé à tenter de devenir écrivain.À tenter de devenir un très grand écrivain, encore lu dans deux cents ans et de la poussière. Pour la poussière, je pense que c'est quasiment bon. » Quatre textes présentés comme des « annexes théoriques » complètent cet autoportrait en alcoolo mélancolique. Alain Turgeon est peut-être, comme il dit, « un très grand écrivain super important mais raté », mais ce n'est pas une raison pour attendre deux cents ans avant de le lire. Et à jeun, ça passe très bien aussi.

Alain Turgeon
En mon faible intérieur
La Fosse aux ours
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 19 € ; 224 p.
ISBN: 9782357071650

Les dernières
actualités