3 avril > Histoire culturelle Allemagne

Aldo, maître de l’art noir

Verena von der Heyden-Rynsch - Photo Ctaherine Hélie/Gallimard

Aldo, maître de l’art noir

A travers le portrait d’un imprimeur vénitien, c’est aussi la foisonnante vie intellectuelle de la Sérénissime à la Renaissance que l’essayiste allemande Verena von der Heyden-Rynsch retrace.

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Par Sean James Rose
avec Créé le 20.03.2014 à 19h11 ,
Mis à jour le 21.03.2014 à 00h00

Aux Cassandre qui, devant l’essor des tablettes de lecture, pleurent la fin de la galaxie Gutenberg, rappelons que l’invention de l’imprimeur de Mayence avait suscité une levée de boucliers chez les clercs et les copistes qui voyaient dans la typographie mécanique une déperdition du vrai savoir. Diffusion des textes classiques et sacrés, dont le premier d’entre eux, la Bible - celle dite de Gutenberg -, sort en 1454… L’humanisme de la Renaissance n’eût pas été sans l’imprimerie.

Si Florence devient le creuset des arts plastiques, Venise sera la capitale de l’édition. Au XVe siècle, rappelle la spécialiste de la civilisation européenne Verena von der Heyden-Rynsch, 45 % des livres en Europe proviennent d’Italie, dont 42 % sont fabriqués dans la Cité des Doges. Pour l’année 1490, 300 sont imprimés à Florence, 629 à Milan, 927 à Rome et… 2 835 à Venise. Comment expliquer que cette dernière soit devenue le terreau fertile de l’"art noir" (ainsi était surnommée l’imprimerie en allemand, sans doute à cause de l’encre) et d’une si florissante culture du livre ? Par la présence d’une importante communauté d’"Allemands", gens du Nord, du Saint Empire romain germanique, de Suisse, de Danemark ou de Pologne. Ville ouverte sur l’Orient, Venise est le premier relais pour les marchands du Nord qui s’y établirent dès le XIVe siècle. En 1453 eut lieu la chute de Constantinople, entraînant l’arrivée de nombreux lettrés grecs… Quant à la "spécificité allemande", importée à Rome par deux disciples de Gutenberg, Arnold Pannartz et Konrad Sweynheim, en 1465, elle fut introduite quatre ans plus tard à Venise, où "plus d’un quart des habitants de sexe masculin fréquentaient une école de leur sixième à leur quinzième année". A travers le portrait d’Aldo Manuzio (1449-1515), l’imprimeur-éditeur-libraire vénitien qui donne son nom à un nouveau genre d’ouvrage imprimé, les "aldines", Verena von der Heyden-Rynsch restitue la vie intellectuelle de la Sérénissime. C’est tout l’art de l’imprimerie à Venise qu’elle dépeint, avec ses enjeux commerciaux (le début des privilèges, ancêtres des copyrights), ses innovations techniques et esthétiques (Aldo Manuzio invente les caractères penchés : l’italique), ses débats intellectuels (l’imprimeur avait fondé autour de son atelier une véritable académie helléniste)… Ainsi que le théâtre de la culture humaniste dont les protagonistes sont Erasme, Pic de La Mirandole, Pietro Bembo, émule de Cicéron, ou encore "le mécène grec" de l’édition, le cardinal Bessarion.

Outre son chef-d’œuvre, l’édition de l’Hypnerotomachia Poliphili (1499), ce bijou illustré de la littérature renaissante, on doit au "Michel-Ange du livre" les libri portatiles, ce format in-octavo, équivalent de "nos actuels livres de poche". S. J. R.

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