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Harry Potter : les libraires clivés face aux positionnements politiques de J.K. Rowling

J.K. Rowling - Photo DR

Harry Potter : les libraires clivés face aux positionnements politiques de J.K. Rowling

Alors que l'autrice britannique se revendique de la mouvance « Trans-Exclusionary Radical Feminist » (« Féministes radicales excluant les personnes trans » en français) année après année, plusieurs librairies indépendantes ont choisi de retirer la saga Harry Potter de leurs rayons. Cette polémique jette une ombre sur l’image du célèbre sorcier, et continue de susciter de vives interrogations parmi les libraires.

 

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Par Adèle Buijtenhuijs
Créé le 08.08.2025 à 10h48

« Nous avons décidé de ne plus vendre ces livres », a annoncé la librairie franciscaine Booksmith à propos de la saga Harry Potter, dans un post Instagram publié en juin dernier. Cette décision est intervenue peu après l’annonce par J.K. Rowling du lancement du « J.K. Rowling Fund for Women », un fonds « destiné aux femmes ».

D’après le site officiel, celui-ci viserait à offrir « un soutien financier juridique aux personnes et aux organisations qui luttent pour préserver les droits des femmes fondés sur le sexe, sur le lieu de travail, dans la vie publique et dans les espaces féminins protégés. Il financera notamment des femmes et des organisations contraintes de se conformer à des politiques d'inclusion déraisonnables concernant les espaces et les services réservés à un seul sexe, ou les clubs et événements réservés aux femmes. ». Financée par l'écrivaine britannique elle-même, l'initiative a été perçue par beaucoup comme une offensive à l'encontre des femmes transgenres, cohérente avec l'ensemble de ses prises de parole sur le sujet depuis quelques années.

« Nos lecteurs ne viendront jamais nous demander du Harry Potter »

Le boycott d'Harry Potter, sujet de débat récurrent chez les « Potterhead » — nom donné aux fans de la saga – soulève également de réelles interrogations chez les libraires indépendants. Sollicités par Livres Hebdo, la majorité d’entre eux se disent « préoccupés », qu’ils aient décidé, ou non, de retirer les livres de leurs rayons.

Pour Margot, employée de la librairie Majo, une structure militante du 5ᵉ arrondissement de Paris, « la question ne s’est jamais posée : il est totalement incohérent pour nous de vendre des livres dont les bénéfices sont utilisés pour discriminer une minorité. Nos lecteurs ne viendront jamais nous demander du Harry Potter ». À la place, elle encourage de se tourner vers d’autres ouvrages, déplorant que le jeune sorcier occupe encore une place si centrale malgré la diversité du segment fantasy jeunesse. Acheter d’occasion constituerait aussi un moyen, pour la libraire, de se procurer les romans sans pour autant reverser de l'argent à son autrice, qui tire l'essentiel de sa fortune (estimée à plus d’un milliard de dollars selon le magazine américain Forbes) des ventes de livres, des adaptations cinématographiques et des produits dérivés de la saga Harry Potter. « Bien que nous n'ayons échangé que très brièvement sur le sujet avec mes collègues, nous ne mettons plus en avant les romans ni ne commercialisons les produits dérivés », détaille d'ailleurs une libraire de Libr’Enfant à Tours.

Même son de cloche du côté de la librairie bretonne Divergences (Quimperlé) qui, ouverte depuis un an, privilégie des livres issus de petites maisons d’édition au détriment d’Harry Potter. D’autres, comme la librairie Terra Nova à Toulouse conservent encore les titres, mais reconnaissent être en pleine réflexion, les congés estivaux n’ayant pas encore permis à l’équipe de trancher sur la question.

Un boycott contraire aux missions d'un libraire ?

Mais pour certaines enseignes indépendantes, la conjoncture économique actuelle empêche de faire l’impasse sur la saga. Pour Magalie, libraire chez Bullez Jeunesse à Saverne près de Strasbourg, « c’est un sujet difficile : malgré notre engagement personnel, l’univers de J.K. Rowling permet une grande visibilité et de nombreux achats. Pour une structure ouverte très récemment, c’est un panier facile ». Publiés aux éditions Gallimard Jeunesse depuis 1998, les huit tomes d'Harry Potter dépassent en effet les 40 millions d'exemplaires vendus dans l'ensemble du pays, selon la maison.

Un employé de la librairie Les Arts Frontières à Saint-Genis-Pouilly, considère que ne plus commercialiser Harry Potter reviendrait à se tirer une balle dans le pied : « Nous avons davantage besoin de vendre des livres que J.K. Rowling n'a besoin d’argent ». Dans un tweet datant du 7 août, cette dernière avait d'ailleurs ironisé sur les tentatives de bannissement de son œuvre : « Les boycotts de mon travail se sont révélés extrêmement efficaces jusqu'à présent ».

Certains estiment également qu'une prise de position marquée ne serait pas de leur ressort. Selon eux, le métier consiste à conseiller les lecteurs, quelles que soient leurs opinions et leurs idées, et de mettre à leur disposition l’ensemble des livres sur le marché. « À titre personnel, je considère qu'il faut répondre à la demande des clients, le reste relève plutôt de l’opinion personnelle », affirme un libraire de la boutique Chantelivre à Paris. Des clients qui, eux aussi, s'expriment sur la situation en librairie. « Certains refusent d’acheter les ouvrages, d’autres le font tout en nous disant “Je sais, c’est pas bien”, confie un employé de la librairie jeunesse Comptines à Bordeaux, mais systématiquement, Harry Potter provoque une discussion ou une réaction ».

La polémique continue

Alors qu'un remake d'Harry Potter sous forme de série est en préparation pour 2026, le débat n'est pas près de s'arrêter. J.K. Rowling, elle, poursuit sa mobilisation dans le mouvement « Trans-Exclusionary Radical Feminist », dit « Terf » (« Féministes radicales excluant les personnes trans » en français). En mai dernier, l'écrivaine postait notamment une photo d'elle, un cigare à la bouche, en réaction à la décision de la Cour Suprême britannique ayant attesté que la définition légale d'une femme reposait sur le sexe biologique et non le genre. « J’adore quand un plan se déroule sans accroc #SupremeCourt #WomensRights », pouvait-on lire en description.

Un an plus tôt, elle versait 83 000 euros issus de sa fortune personnelle pour financer une association militant pour l’exclusion des femmes transgenres de l’Equality Act. Enfin, lors des Jeux olympiques de Paris, elle figurait dans une plainte pour « actes de cyberharcèlement aggravé », en compagnie de Donald Trump et d'Elon Musk, pour des propos tenus à l’encontre de la boxeuse algérienne Imane Khelif. Dans une série de tweets, J.K. Rowling accusait la sportive, née femme et concourant dans cette catégorie, d’être un homme. « Je n'ai jamais dit ni cru que Khelif était transgenre. Je savais qu'il était un homme. », A-t-elle déclaré sur X le 2 juin dernier.

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