Avant-Portrait

Il n'aime pas trop la police, le pouvoir en général et celui de l'argent en particulier. Cela se voit dans son regard bleu, métallique, qui observe un horizon qu'il souhaite atteignable. C'est son utopie à lui, ce rêve qu'il a vécu et qu'il ne cesse de dessiner avec la distance nécessaire. Car Alessandro Pignocchi ne manque pas d'humour. « C'est ce qui me plaît dans la BD, cette possibilité de dessiner et de se moquer de soi, de dire les choses à la première personne dans une vision un peu ironique. » Cela lui permet aussi d'adopter différents points de vue comme dans son roman graphique La recomposition du monde, le premier de la collection « anthropocène », au Seuil, consacré à la Zad de Notre-Dames-des-Landes.

Passionné d'oiseaux

Pour en arriver là, ce jeune homme diplômé en sciences cognitives est passé par l'Amazonie. Après un bac S, ce passionné d'oiseaux découvre l'Équateur puis les Jivaros, d'abord pour consommer des drogues, et ensuite pour comprendre ce qui s'y passe. Il a lu Les lances du crépuscule de Philippe Descola (Plon, 1993). L'anthropologue, professeur au Collège de France, qu'il a rencontré par la suite et dont il est devenu proche, raconte que ce peuple Jivaro ne fait pas de distinction entre la nature et la culture. Les liens qu'il entretient avec les plantes ou les animaux s'apparentent à des interactions sociales. Il y retourne donc dans l'idée de réaliser un documentaire pour montrer cette osmose quotidienne. Faute de financement, il choisit la BD et en tire son premier récit graphique, Anent. S'il garde des contacts avec les Jivaros - il revenait d'Amazonie lorsque nous l'avons rencontré - ce qu'il attendait de ce nouveau type de relation de sujet à sujet s'est transformé en frustration. C'est alors qu'il se rend compte qu'il y a peut-être un endroit, bien plus proche, où ce mode relationnel est mis en pratique : Notre-Dame-des-Landes. « Anent est en quelque sorte l'histoire d'une déception si l'on se place du point de vue des relations sociales. En revanche, la Zad est un éblouissement pour toutes les interactions qui se produisent avec les non humains. »

Selon le même principe du reportage, carnet de croquis en main, il se rend sur place pour raconter son expérience. Pour rire, mais pas seulement, il y ajoute un CRS qui s'allonge sur le divan d'un psychanalyste, deux pilotes de lignes qui échouent dans un océan poubelle, des zadistes quelquefois effrayés par leur propre misogynie langagière et lui-même qui fait sa révolution cosmologique. «On se sent dans un monde différent. Ce qui était très théorique est devenu très réel et la réponse se trouve incluse dans la lutte.» Mais quid des accrochages avec les forces de l'ordre ? «La violence est dans la brutalité de l'Etat à qui les zadistes subtilisent des territoires.»

Alessandro Pignocchi voit dans ces expériences des sources d'espoir pour l'avenir. « Les énergies vertes, la transition écologique, c'est de l'enfumage. Pour des anthropologues extraterrestres qui nous observeraient, cela relève du même principe. Alors que la Zad, c'est autre chose. Il y a une véritable relation de sujet à sujet avec la nature. La nature n'existe pas chez les Jivaros. Ils n'ont donc pas à la considérer en fonction des services qu'elle nous rend, y compris celui de la contemplation. Les zadistes font de même : il s'agit de réenchanter le monde et de repenser notre rapport à la nature. »

Ainsi voit-il dans les opposants à la ligne ferroviaire transalpine Lyon- Turin ou dans certaines communautés qui se sont agrégées autour du mouvement des « gilets jaunes » des expériences nouvelles dignes d'intérêt. Le monde change et Alessandro Pignocchi nous invite à l'essayer. Il ne voudrait surtout pas voir son joli coup de crayon comme un coup d'épée dans l'eau.

Alessandro Pignocchi
La recomposition des mondes
Seuil
Tirage: 8 000
Prix: 15 euros
ISBN: 9782021421255

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