Comment s'offrir un livre à 20 dollars lorsque le salaire minimum ne vaut plus que quelques dizaines de dollars ? Quelle place pour la culture dans une société qui s'effondre, confrontée à l'exode de ses habitants et dans laquelle l'électricité est désormais fournie par des générateurs ? Voilà les questions qui obsèdent les acteurs du monde du livre libanais ces trois dernières années, alors que leur pays traverse un enchaînement de crises sans précédent depuis la fin de sa guerre civile en 1990.
Soulèvements populaires, effondrement politique, pandémie de Covid-19, faillite financière générale, crise migratoire, explosion du port de Beyrouth, ou encore épidémie de choléra... « Le Liban connaît une crise systémique et implose. Nous vivons la mort du système sur lequel s'est construit le miracle libanais. Le pays est en faillite, ses habitants en mode survie », résume, sans mâcher ses mots, l'ambassadrice française au Liban, Anne Grillo, depuis la célèbre résidence des Pins. « Il ne nous manque plus qu'une attaque de zombies ou une pluie de grenouilles ! », arrive encore à sourire Emmanuel Khoury, Franco-Libanais à la tête de l'Institut français du Liban à Tripoli (un district proche de la frontière syrienne). Et, à l'image de ce trentenaire s'épuisant à la tâche pour faire rayonner la francophonie, le monde du livre refuse de s'avouer vaincu, quand bien même les dépôts de bilan de librairies ou de maisons d'édition se multiplient, et que le volume d'importations de livres francophones a chuté de 80 %.
Débrouillardise et aide internationale
Que ce soit les éditeurs, les libraires, les organisateurs de manifestations ou les bibliothécaires, les professionnels rencontrés sur place par Livres Hebdo ont en commun une passion et un dévouement acharnés. S'armant de débrouillardise au quotidien, beaucoup comptent aussi sur les dons et les aides internationales, apportées en partie par l'État français. « Il faut être extrêmement créatif pour intensifier l'action culturelle dans ces conditions, glisse avec pudeur Guillaume Duchemin, directeur adjoint de l'Institut français du Liban. Après des mesures d'urgence pour maintenir nos actions, nous préparons des programmes à plus long terme pour soutenir les librairies et les éditeurs ces prochaines années. »
Dans une ville traditionnellement considérée comme le phare littéraire de la région et comme une passerelle privilégiée entre l'Orient et l'Europe, le Salon du livre arabe de Beyrouth fera son retour en décembre, après quatre années d'absence. À grands coups de partenariats internationaux, s'est aussi tenue dans ce contexte historique la première édition du festival Beyrouth Livres, fin octobre, en remplacement du Salon du livre francophone de Beyrouth, qui s'était arrêté en 2018. Des initiatives qui permettent aux professionnels du livre, sur place, de garder foi en l'avenir. Pour que, contrairement aux silos du port de Beyrouth qui continuent, deux ans après leur explosion, de s'effondrer, la flamme du livre et de la langue française au pays du Cèdre ne s'éteigne pas.