6 septembre > Roman Chine > Sheng Kehi

Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley est paru en 1932, cette histoire de bébés-éprouvette et de manipulation génétique relevait alors de la science-fiction. Le réel a rattrapé le roman. L’écrivain britannique n’imaginait pas l’odyssée vers le futur comme une aventure pleine d’enchantements. Brave new world, le titre en anglais, est une citation des paroles de Miranda dans La tempête de Shakespeare, où la belle ingénue dit toute son admiration devant la découverte du monde merveilleux des hommes. Une parfaite antiphrase, chez Huxley. De même ici: Un paradis de Sheng Keyi, romancière née en 1973 dans le Hunan et l’une des plumes novatrices de la littérature chinoise, n’est pas tant un roman de noire anticipation qu’une fiction dont l’action se déroule dans une Chine contemporaine où l’on craint que le pire devienne possible.

L’auteure d’un premier roman sur la condition féminine, fort remarqué par la critique chinoise, Filles du nord, poursuit son combat féministe dans une veine plus satirique que naturaliste. Un paradis relate l’effroyable quotidien dans une clinique illégale pour mères porteuses à travers les yeux d’une jeune recrue, simplette du nom de Wenshui (littéralement "Questions à l’eau", l’eau étant selon le Tao un élément yin, à savoir féminin). L’usine à bébés est dirigée d’une main de fer par l’autoproclamé "président" Niu Yugen, entouré d’une équipe tout aussi musclée aux surnoms militaires, Jiang Jinghui dit "le Petit Général", Da Bing alias "le Caporal". Les femmes ont des numéros et sont traitées comme du bétail. Viol et maltraitrance, eugénisme, cupidité… Sheng Keyi égratigne sans ambages la Chine patriarcale, dont l’âpreté au gain exacerbée par le capitalisme sauvage serait l’un de ses monstrueux visages. Mais elle trempe sa plume dans le miel du regard candide de sa protagoniste et les douces couleurs des illustrations faites spécialement pour l’édition française. S. J. R.

06.07 2018

Auteurs cités

Les dernières
actualités