Avant-critique Essai

Bernard Perret, "Violence des dieux, violence de l'homme. René Girard, notre contemporain" (Seuil)

Le philosophe René Girard, mort en 2015 et dont on fête le centenaire de la naissance. - Photo © Ulf Andersen Aurimages via AFP

Bernard Perret, "Violence des dieux, violence de l'homme. René Girard, notre contemporain" (Seuil)

Dans cet essai éclairant, Bernard Perret expose la philosophie de René Girard et sa thèse du « désir mimétique », moteur de la violence.

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Par Sean Rose,
Créé le 27.04.2023 à 09h00 ,
Mis à jour le 27.04.2023 à 19h44

Du sens révélé des choses. La ligature d'Isaac est cet épisode biblique où Dieu demande à Abraham de lui sacrifier son fils. Quand il s'apprête à abattre le couteau sur Isaac, l'ange de Dieu arrête son bras et substitue à l'enfant un bélier. Motif iconographique s'il en fut, ce moment fait surtout beaucoup couler l'encre des théologiens et des philosophes. Kierkegaard y voit le paradoxal mouvement de la foi. Du point de vue anthropologique, c'est l'institution du bouc émissaire : une créature innocente (en l'espèce, un mouton) est offerte en holocauste à la divinité. En immolant la victime, on la sacralise : c'est sur l'autel qu'on la tue. Elle canalise notre violence en nous donnant bonne conscience. Telle est la théorie du bouc émissaire selon René Girard, auquel Bernard Perret consacre un éclairant essai, à la fois synthétique et critique sur la pensée du philosophe français (1923-2015) qui fit toute sa carrière outre-Atlantique. Dans Violence des dieux, violence de l'homme. René Girard, notre contemporain, Bernard Perret montre avec force pédagogie l'originalité girardienne. Ce n'est pas le sacré qui crée la violence (la divinité qui exige qu'on tue pour elle) mais l'inverse : la violence, inhérente à l'humanité, institue le sacré. On désigne une cible sacrificielle qui paye pour tous nos congénères, potentielles victimes... mais en excipant du décret divin – je n'y suis pour rien, ça s'est décidé là-haut ! Les dieux ont bon dos... Au fil des siècles, ces rites sacrés sont devenus des lois séculières, les humains ont transmué leurs instincts assassins en concurrence pacifiée au sein d'une société libérale où est censé régner le respect entre individus. En vérité, toute loi, tout ordre contient cette violence originelle.

Pourquoi tant de haine ? La faute au « désir mimétique », pierre angulaire de l'édifice girardien. De Des choses cachées depuis la fondation du monde (1978) ou Le Bouc émissaire (1982) à Achever Clausewitz (2007, récemment reparu chez Grasset), le philosophe dont on fête cette année le centenaire l'analyse ainsi : l'individu ne désire pas par lui-même mais désire ce que l'autre désire. Et ce désir mimétique d'entraîner la haine meurtrière... Comment s'en libérer ? Girard, qui ne s'est jamais caché d'être chrétien, propose la solution apocalyptique (au sens étymologique de « révélation ») du christianisme. Le Christ, acceptant sa crucifixion bien qu'innocent, « s'est délibérément mis en situation de devenir une victime émissaire dans le but de dévoiler la violence ». La proposition chrétienne est radicale. Non seulement il faut aimer son prochain comme soi-même, mais il faut aussi tendre l'autre joue quand on a été frappé – aimer même son ennemi. Seul le refus de la rétribution, par l'amour et le pardon, permet de sortir de la boucle de la violence. Point de salut hors conversion personnelle. Moins pessimiste, Bernard Perret trouve quant à lui dans la pensée girardienne et sa compréhension du désir mimétique une voie politique. Le prouvent nombre d'institutions démocratiques. Être dans le soin d'autrui sans être forcément chrétien.

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