Entretien

Bertrand Santini (Le Journal de Gurty) : « Je me considère comme un auteur sans âge »

Ecrivain et scénariste, Bertrand Santini s'est imposé, ces dernières années, comme un auteur jeunesse de référence. - Photo B. Santini

Bertrand Santini (Le Journal de Gurty) : « Je me considère comme un auteur sans âge »

À l’occasion des 10 ans du Journal de Gurty (Sarbacane), série jeunesse vendue à 1,5 million d’exemplaires et dont l’anniversaire sera célébré le 4 juin avec la parution d’un 14e tome, Livres Hebdo a échangé avec son auteur, Bertrand Santini. Figure incontournable pour toute une génération de jeunes lecteurs, il se confie sur ses inspirations, son rapport à l’enfance et ses projets à venir.

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Par Élodie Carreira
Créé le 27.05.2025 à 10h53

Livres Hebdo : La série Le Journal de Gurty fête ses 10 ans. Qu’est-ce qui vous a inspiré ces histoires ?

Bertrand Santini : C’est ma chienne, Gurty. À l’époque, j’avais sous mes yeux un personnage qui correspondait en tout point à ce que je recherchais chez un bon héros d’histoire. À la façon de Snoopy chez Schulz, elle était pleine de cet humour à l’anglo-saxonne, qui permet de parler du monde d’une manière décalée. Pendant 16 ans, je me suis occupé de Gurty, elle a partagé ma vie. Depuis son décès, j’ai tendance à dire que c’est elle, désormais, qui prend soin de moi.

Dans les différentes interviews que vous avez pu donner, vous parler souvent des chiens comme de « remarquables philosophes ».

C’est vrai que j’ai l’habitude de dire ça ! On raconte souvent que les chiens sont les messagers de la vérité, et c’est un peu cette idée-là que je reprends. Les animaux sont souvent de formidables acteurs pour traduire le monde humain et toute parole un tant soit peu impertinente passe mieux quand elle est prononcée par un animal. Pour moi, les chiens sont des philosophes dans la mesure où ils ne sont ni obsédés par le passé ni par l’avenir, ils sont ancrés dans le présent. J’aime aussi beaucoup leur capacité d’émerveillement. On a beau les promener cent fois dans la même rue, ils la redécouvrent toujours avec le même enthousiasme. Je crois que c’est à cette simplicité, à cette dynamique que les enfants s’identifient beaucoup.

« Enfant, j’étais obsédé par l’histoire sous toutes ses formes »

Ce qui est étonnant dans votre trajectoire, c'est qu’au départ, vous étiez plutôt parti pour travailler dans le milieu du cinéma. Qu’est-ce qui vous a amené à écrire pour la jeunesse ?

Quand j’étais enfant, j’étais absolument obsédé par l’histoire sous toutes ses formes. J’en fabriquais tout le temps. C’est un peu comme ça que je me suis retrouvé à écrire des scénarios pour des projets de cinéma. À l’époque, j’écrivais surtout sur des univers fantastiques ou avec un humour décalé, ce qui ne correspondait pas vraiment aux types de films produits en France. Pour que mes histoires existent, je me suis donc tourné vers le monde de l’édition. Au début, ce n’était pas facile, j’ai dû attendre d’avoir une quarantaine d’années pour être publié mais aujourd’hui, j’ai l’immense chance de pouvoir en vivre. Contrairement à beaucoup de mes collègues, je peux écrire et travailler sans me soucier de la pression financière.

Outre les joyeuses et truculentes aventures de Gurty et Fleur, la série adopte un regard aiguisé, parfois cynique, sur la société. Selon vous, la littérature doit-elle tout raconter aux enfants ?

Gurty, ce n’est pas que de l’exaltation. J’y aborde aussi des thématiques plus profondes comme le libre-arbitre, l’émancipation, mais aussi des menaces telles que la maladie, la mort. Dans la littérature et la culture française, il y a cette idée, qui me déplaît beaucoup d’ailleurs, que ne peut être profond que ce qui est grave. Au contraire, moi je crois que l’humour est presque la façon la plus élégante possible de de parler du monde et des choses difficiles. Et surtout, je crois que le texte doit toujours signifier quelque chose, véhiculer des idées, un message. Au-delà de la distraction, je m’efforce donc toujours d’apporter de la matière, mais de façon discrète. J’aime quand le lecteur ne se rend même pas compte qu’il est en train de lire sur un sujet grave. 

« Les enfants sont un public formidable »

Êtes-vous nostalgique de votre enfance ?

J’imagine que oui, un peu, comme tout le monde. En revanche, je ne suis pas nostalgique d’être un enfant. D’ailleurs, quand on écrit pour les enfants, on ne le fait pas en pensant à eux. Pourtant, ils comprennent l’essentiel de ce que l’on raconte. Les enfants sont un public formidable, qui prend très au sérieux tout ce que vous dites et qui n’aura pas peur de vous signaler la moindre incohérence dans votre œuvre. C’est ce qui rend aussi la suite d’une série aussi challengeante.

Depuis la parution du premier tome du Journal de Gurty, en 2015, la série s’est vendue à plus d’un million d’exemplaires et fidélise près de trois millions de lecteurs, petits et grands. Quels sont les ingrédients d’un tel succès ?

Je pense que si Gurty plaît aux enfants, c’est parce que ma démarche est très sincère, qu’elle n’est pas le fruit d’une stratégie éditoriale. En réalité, c’est une grande déclaration d'amour à ma chienne, aux animaux, à la vie. C’est un élan du cœur et ma plus grande récompense est qu’il ait été entendu. Je suis un extraordinaire privilégié dans la mesure où je participe à quelque chose de propre, j’exerce un métier qui produit une richesse lumineuse, qui n’aggrave pas le monde. C’est une raison suffisante pour se lever le matin !

« Je travaille à une nouvelle série avec d’autres éditeurs »

À l’occasion des 10 ans de la série, un 14e tome paraîtra le 4 juin. Est-ce que Le Journal de Gurty aura un jour une fin ?

C’est une vraie question ! À vrai dire, je n’ai pas vu passer ces dix ans, mais il y a deux ans, je me suis posé sérieusement la question. Parfois, le succès est un piège et donner autant de mon temps pour Gurty m’a sûrement empêché de publier des livres que je n’ai pas écrits. Par exemple, je travaille en tant que scénariste sur une adaptation cinématographique de la série, mais aussi sur un spin-off autour du personnage de Fleur, qui paraîtra en septembre. Ce sont des nouveautés, certes, mais je reste toujours dans le même univers jeunesse.

Est-ce que ce constat vous donne envie de vous lancer dans de nouveaux projets ?

Et bien, pour tout vous dire, je travaille à une nouvelle série avec d’autres éditeurs. C’est toujours de la jeunesse - même si je me considère plutôt comme un auteur sans âge - mais cette fois, il s’agira de revenir aux sources, avec un univers plutôt fantastique.

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