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Bibliothèques et gilets jaunes

Bibliothèques et gilets jaunes

Les bibliothèques sont de plus en plus des services publics de proximité, en phase avec la population. Mais elles sont aussi absentes des zones périphériques et commerciales.

Combien d'actes à la tragédie des gilets jaunes ? Cette mobilisation est inédite en ce qu'elle contourne les institutions habituelles et qu'elle émane des catégories populaires qui s'expriment peu ou par leur cri dans les urnes. Comment penser ce mouvement du point de vue des bibliothèques ?

D'abord, il faut saluer le virage des bibliothèques vers le souci des publics. La protestation se nourrit d'une très grande défiance à l'égard des élus et des élites. L'idée d'un service public tellement concerné par le service de l'universel de la Culture qu'il en oublie la réalité des citoyens concrets a perdu heureusement de sa force. Les bibliothécaires dans leur ensemble se soucient de la prise en compte de la population telle qu'elle est et non plus telle qu'elle devrait être. C'est un acquis de la décennie qui s'est écoulé et il est ô combien précieux dans ce contexte actuel. Les « gilets jaunes » auraient en effet eu toute légitimité et tout loisir de stigmatiser un service public qui ne s'adresse pas à eux. Au lieu de cela, les bibliothèques montrent des signes indéniables de prise en compte de la population.

Des services publics de proximité

Que ce soit à Gironde-sur-Dropt qui se préoccupe d'aider les citoyens en leur proposant de venir à la médiathèque rencontrer les agents des impôts plutôt que de devoir faire plus de 30 km pour trouver une réponse ou à Montbelliard où la médiathèque prend acte du caractère central des jeux-vidéos dans les pratiques (quelle que soit la génération) des usagers à travers une opération de rétro-gaming, on pourrait multiplier les exemples de cette attention à la population. La situation a bien changé y compris par rapport à celle que je déplorais il y a près de 9 ans. L'idée selon laquelle la bibliothèque participe à la construction de la collectivité est devenue presque banale. Dans leurs actions quotidiennes, les bibliothécaires soutiennent les individus et font vivre leur commune, leur quartier ou leur établissement scolaire ou universitaire. Par-delà les situations personnelles et les contextes locaux, ils (souvent elles) relient les citoyens en les rassemblant, les écoutant, les accueillant, etc. Pour autant, malgré ce travail sans bruit autant qu'essentiel, le lien des citoyens à la politique et aux institutions reste très fragile et la colère, difficile à apaiser, des gilets jaunes en atteste.

Mais il faut ensuite identifier deux points de fragilité ou d'amélioration du service rendu à la population. L'accès au service public détermine en partie le sentiment dont il peut faire l'objet. Et cela donne à la question des horaires d'ouverture une totale actualité. Les établissements qui travaillent dans le sens de leur élargissement avec (ou sans) le concours (que l'on souhaite durable) du ministère de la Culture, prennent en compte une attente forte de la population. Ceux qui font l'effort d'ouvertures du dimanche (comme à Condé sur Noireau ou Saint-Valéry-en-Caux) en reçoivent une reconnaissance de la part de citoyens qui peuvent juger de l'attention dont ils font l'objet.

Des établissements absents des ronds-points et des zones commerciales

L'accès aux bibliothèques dépend aussi de leur implantation. Souvent dans leur voiture, les gilets jaunes trouvent-ils une bibliothèque sur leur chemin ? A proximité des ronds-points ? La quasi absence de bibliothèques dans les zones commerciales des périphéries des grandes villes peut être discutée sous ce critère. Alors que les bibliothèques cherchent à être là où sont les publics, il apparaît incohérent d'avoir déserté ces espaces. Par ailleurs, on peut pointer un risque dans la construction d'établissements intercommunaux aux dépens de petits établissements bien insérés localement. Bien sûr, une bibliothèque centrale plus largement ouverte et plus grande peut accueillir une population et des usages plus diversifiés. Mais, dans certains contextes, le maintien de structures plus réduites au plus près d'une population moins mobile (enfants, personnes âgées) peut avoir tout son sens.

Et pour les plus petites communes, les plus isolées, l'attention aux citoyens (qui ne sont pas tous gilets jaunes) passe par une mutualisation des services publics avec d'autres qui peuvent être marchands. Des initiatives existent déjà mais la petite commune de Eppe-Sauvage (274 habitants) a poussé la logique au bout, et de belle manière, en créant un établissement qui rassemble café, épicerie et médiathèque. Chaque service ne pouvant pas vivre séparément pourra s'appuyer sur le soutien des autres le tout avec 64 heures d’ouverture ! Ce coup de cœur du Grand Prix Livres-Hebdo des bibliothèques pourrait inspirer bien des lieux aux prises avec cette question des services à rendre à la population. Rappelons que seulement 34% des communes de 200 à 1999 habitants offrent un service de bibliothèque (au sens d’un minimum de surface, de budget, d’horaires d’ouverture ou de personnel).

Parce que la contestation de l'impôt est aussi une remise en cause du lien social, elle interroge et nous invite à œuvrer pour le renforcer. Les bibliothèques sont un bon outil pour atteindre cet objectif.
 

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