À la mi-juin, Actes Sud a quitté ses locaux du 18, rue Séguier, qu'il occupait depuis sa création en 1978, et Héloïse d'Ormesson a déménagé de sa presque périphérique rue Rollin (5e). L'un pour le 60-62, avenue de Saxe, côté pair donc 15e ; la seconde pour le building flambant neuf d'Editis, dans le 13e. Deux éditeurs désertent un Saint-Germain-des-Prés en pleine gentrification, où les librairies cèdent de plus en plus le pas (de porte) à la fringue, pour cause de loyers déments.

Précisons que sous le nom de « Saint-Germain-des-Prés », nous désignerons ce que l'on appelle aussi « Rive gauche », le quartier universitaire, littéraire et éditorial de la capitale depuis le haut Moyen Âge, un quadrilatère délimité à l'est par le boulevard Saint-Michel, au nord par les quais de la Seine, à l'ouest par la rue du Bac et le boulevard Raspail, au sud par le boulevard du Montparnasse, mutatis mutandis. Si l'histoire de l'édition a été largement écrite, tout reste à faire concernant sa géographie, non moins intéressante, notamment sous un angle sociologique, voire archéologique.

Qui se souvient, parmi les habitants, passants ou touristes, de Stock rue de l'Ancienne-Comédie, de Plon rue Bonaparte (dans le même immeuble que Catherine Deneuve, l'icône du quartier), de Robert Laffont place Saint-Sulpice, de Fayard rue des Saints-Pères tout près de Grasset (qui y loge encore) ? Tous ont migré plus ou moins loin, comme il y a quelque temps Le cherche midi (groupe Editis, donc dans le 13e lui aussi) et Le Seuil, d'abord dans le 14e, puis dans l'immeuble du groupe Média participations, dans le 19e, tout au nord de la rive droite, autant dire un autre monde. Rachats, regroupements, rationalisation, économies... Tout cela se comprend aisément. C'est le lot quotidien, surtout en ces temps de vaches maigres.

Même si heureusement de nombreux éditeurs demeurent dans le quartier, notamment le groupe Madrigall (Gallimard rue Gaston-Gallimard, ex-Sébastien-Bottin, Flammarion en partie place de l'Odéon, les filiales dans un périmètre proche), Le Dilettante, JC Lattès, Grasset ou le groupe Libella, si d'autres plus récents s'y sont installés - L'Iconoclaste rue Jacob, Humensis à Port-Royal -, Rome est de moins en moins dans Rome.

Pourtant, n'en déplaise à certains, un certain esprit germanopratin demeure bien vivant ici, où souffle un air plus léger qu'ailleurs, peut-être nourri de l'esprit de tous les écrivains, morts ou vivants, qui ont foulé ses pavés, hanté ses cafés et restaurants, dont la plupart sont « littéraires » et mécènes de prix enviés : le Flore, les Deux Magots, Lipp, Les Éditeurs, la Closerie des Lilas... Tout cela constitue un patrimoine unique, matériel et immatériel, qui mériterait d'être mis en valeur. À quand des « publisher's tours » pour les touristes ? En attendant, ne pourrait-on apposer à leurs anciennes adresses des plaques commémoratives, comme on le fait pour les écrivains ? L'illustre Mercure de France, au 26, rue de Condé, a déjà la sienne. Il a publié ses premiers titres en 1894. Aux suivants.

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