A la parution, il y a cinq ans, de La révolution du féminin, un essai programmatique, Camille Froidevaux-Metterie se souvient que son approche phénoménologique, sa définition du féminin « comme un rapport au monde et à soi-même qui passe par le corps », avaient été accueillis avec un peu de circonspection : soupçon de verser dans l'essentialisme, retour suspect à des vieux sujets des années 70 (sexualité, maternité, apparence)...

Grands oubliés

Peut-être certaines réserves à l'égard de ce féminisme plaçant l'incarnation sexuée au centre des problématiques d'émancipation et d'égalité relevaient-elles aussi d'un déni de légitimité vis-à-vis d'une universitaire venue des sciences sociales, titulaire d'une thèse de philosophie politique, aujourd'hui professeure de science politique à l'Université de Reims Champagne-Ardenne. De fait, Camille Froidevaux-Metterie convient avoir opéré assez tardivement une « conversion thématique », par le biais de la maternité, son entrée en féminisme correspondant au moment où, à 34 ans, elle obtenait son premier poste de maître de conférences et naissait le premier de ses deux enfants. Un télescopage singulier entre événement public et expérience privée qui a été le point de départ de sa réflexion sur les mutations contemporaines de la condition féminine.

Depuis, on a changé d'époque. Du moins dans le cadre occidental, tient-elle à circonscrire. Et la philosophe  ne peut que se réjouir de voir une nouvelle génération de féministes redonner aux sujets corporels leur dimension politique et confirmer ce qu'elle appelle dans son ouvrage Le corps des femmes. La bataille de l'intime, paru en 2018, le « tournant génital du féminisme ».

Alors que paraît en poche La révolution du féminin accompagné d'une préface inédite, Camille Froidevaux-Metterie propose une nouvelle illustration de ses thèses dans un beau livre en forme d'« enquête phénoménologico-photographique » consacré aux seins, ces « grands oubliés de la dynamique d'émancipation ». A partir des récits de vie et des portraits de 42 femmes âgées de 5 à 76 ans, elle analyse une large variété de « situations de seins », ces seins, à la fois sexuels, maternels, soumis à des injonctions esthétiques contraignantes, qui « condensent le tout de l'expérience vécue du féminin. Organes phénoménologiques par excellence, ils recouvrent ce mixte paradoxal d'aliénation et de libération qui caractérise le corps des femmes aujourd'hui », écrit-elle.

La forme de ce livre n'est pas neutre. Tout comme le parti pris de réaliser elle-même les images qui s'est imposé « comme une évidence ». Le goût de la photo pratiquée dans sa jeunesse et une famille qui compte plus d'artistes que de profs expliquent sans doute son intérêt pour les dispositifs de restitution de ses recherches moins académiques. D'ailleurs, après un premier docu-fiction consacré aux femmes en politique, elle travaille en ce moment sur un nouveau projet de film documentaire intitulé Les mâles du siècle.

Dans Seins. En quête d'une libération, Camille Froidevaux-Metterie valide entre autres le constat que, « en dépit de leur infinie diversité qui les rend si singuliers, les seins des femmes ne leur appartiennent décidément pas », venant appuyer l'une de ses hypothèses théoriques selon laquelle l'appropriation du corps des femmes qui se perpétue, voire s'aggrave, aurait été le prix à payer de leurs conquêtes, réelles, pour devenir des individus de droit. La bataille de l'intime n'est pas encore gagnée. Mais, seins debout, le combat continue.

Camille Froidevaux-Metterie
Seins
Anamosa
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 20 euros
ISBN: 9791095772873

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